Marcel Schwob est un de ces étranges spectres déambulant dans les corridors de la vie littéraire : inconnus du grand public, on s'étonne de les trouver soudain partout dès que l'on connaît leur existence. La liste de ses amis ou compagnons de route est un véritable Who's who de la littérature française au tournant du siècle. Grand voyageur, philologue, il a des allures d'homme universel après l'heure des hommes universels.
À bien des égards, les Vies imaginaires confirment entièrement cette idée du personnage. Il y pratique un art d'une grande délicatesse ; le style est ciselé — syntaxe lapidaire et mots choisis avec soin, parfois coloré d'une nuance de préciosité. Le livre est structuré comme une série de fables, toutes issues ou inspirées de vies réelles, parfois extrêmement fragmentaires (ainsi la vie de Septima, tirée d'une mince mention dans une tabella defixionum africaine). Chaque “vie”, très brève, est une vignette esthétique davantage qu'une biographie à la Plutarque. Schwob a ses sujets favoris : les héros de ses vies sont d'abord situés dans un Orient fabuleux ; ils deviennent plus tard loubards médiévaux, pirates caribéens et coureurs d'un Londres interlope, tous des marginaux
Le charme des Vies imaginaires est indéniable, quelque part entre prose et poésie, non loin peut-être d'autres grands auteurs de l'imaginaire léger (on pense évidemment à Borges). Une lecture étonnante.
Une citation (“Septima, Incantatrice”) « La ville d’Hadrumète était blanche et les pierres de la maison où vivait Septima étaient d’un rose tremblant. Et le sable de la grève était parsemé des coquilles que roule la mer tiède depuis la terre d’Égypte, à l’endroit où les sept bouches du Nil épandent sept vases de diverses couleurs. Dans la maison maritime où vivait Septima, on entendait mourir la frange d’argent de la Méditerranée, et, à son pied, un éventail de lignes bleues éclatantes s’éployait jusqu’au ras du ciel. »