Vivonne
6.6
Vivonne

livre de Jérôme Leroy (2021)

La poésie et la littérature peuvent-elles sauver le monde ? Peut-être pas, mais la vie, oui. Vivonne raconte un futur très proche, dans la décennie, apocalyptique ou presque. Le monde s'est "libanisé", ou "balkanisé", c'est selon, sur fond de dérèglement climatique accéléré ; les "Dingues" tentent de gouverner dans un mélange de post-vérité et de néo-fascisme, contestés par toute une myriade de factions et milices militaires, des antifas et zadistes aux fascistes celtisants et salafistes. Personne ne s'en émeut plus que cela, ce n'est pas le sujet du livre, et tant mieux. Le sujet, c'est Adrien Vivonne, poète mineur torpillé par son éditeur, qui a réussi à trouver des lecteurs, et qui transcende celles et ceux qui le lisent et le rencontrent.


Dans ce qui ressemble à l'idée que je me fais d'un polar apocalyptique (genre auquel je ne connais rien du tout), on suit trois personnages : Alexandre Garnier, l'éditeur parisien de Vivonne dont il est affreusement jaloux depuis l'enfance, Béatrice, une de ses amantes, bibliothécaire contemplant la vie paisible sur le plateau des Millevaches, et Chimène, sa fille cachée engagée par dépit dans une milice d'extrême-droite. Ces trois personnages vont, pour leurs raisons et à leur façon, se croiser dans leur recherche du poète.


Même si l'histoire est passionnante et que le lecteur est pris très facilement par la mécanique, ce n'est pas le plus intéressant : j'ai adoré le style de Jérôme Leroy, qui se livre à un éloge de la poésie (à laquelle je ne connais pas grand-chose non plus) tout en discrétion et en finesse. Après avoir lu ce roman, on a très envie de lire Jacques Réda et Jean Follain, des noms que je connaissais à peine.


Jérôme Leroy décrit minutieusement la société française sans clichés, un peu à la manière de Houellebecq, sans l'aigreur et la dépression qui lui vont si bien et que l'on adore chez lui.



Visiblement, il était tombé sous le charme iridescent d'Estelle Nowak. Il est vrai que la lumière de ce début d'été 2005, par les vitres du Tournon, faisait un halo de douceur qui accentuait son charme eurasien. On en oubliait les sénateurs venus du Palais du Luxembourg tout proche qui s'efforçaient de manière méritoire, par leur teint vermeil et leur panse hyperbolique, de ressembler au cliché du parlementaire inamovible de la chambre haute.



J'ai quelques réserves sur le prologue et l'épilogue, qui me semblent correspondre à une littérature de science-fiction qui m'attire assez peu mais qui plairont sûrement aux lecteurs initiés. Le tout premier chapitre est magistral : enfermé dans sa maison d'édition, Alexandre Garnier et ses collègues vont vivre un typhon qui ravage Paris pendant plusieurs jours, les coulées de boue, les corps qui se déversent dans les rues, les invasions de rats. Mais surtout, les histoires d'amour sont magnifiques et touchantes, tout en contemplation de la beauté du monde où qu'elle soit et du temps qui passe (ou pas).



Pas par fierté, je pense qu'Adrien la plaçait ailleurs, dans sa liberté, sa légèreté, son aptitude au bonheur. Adrien faisait partie de cette espèce d'hommes, assez rares, qui ne sont jamais tristes le matin. Qui posent un regard toujours neuf sur le ciel, le corps endormi à côté d'eux, le reflet sur une fenêtre de l'autre côté de la rue, le chat qui passe à heure fixe sur un muret.



Vivonne est un roman d'amour de la beauté, de la nostalgie, de la poésie, tout en finesse et en subtilité.

antoinegrivel
9
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Créée

le 7 mai 2021

Critique lue 283 fois

2 j'aime

Antoine Grivel

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