Tristoune
C'est le dernier livre intégralement écrit par Steinbeck, et ça se sent. Il achète un camion qu'il aménage en caravane et choisit, à 58 ans, de se prouver qu'il peut encore voyager en solo à travers...
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le 26 déc. 2012
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Évidemment, quand on aime un roman, transparait entre les lignes une image reconstruite de celui qui en est l'auteur. Quel qu'il ait été dans la vie, s'attache à lui comme son ombre cette figure qui a sa façon de penser, de voir, de réagir, figure qui va s'affinant à mesure qu'on découvre de nouveaux romans de lui. Parfois, le sentiment d'affection devient très fort entre le lecteur et le romancier, on a l'impression à chaque fois de retrouver un ami, dont on aime le ton de voix, le regard malicieux, les gestes et les silences. A tel point qu'on en devient presque réticent à lire de lui des oeuvres plus autobiographiques, peut-être de peur d'être déçu par l'autre figure, celle de l'homme comparée à celle du romancier. Mais parfois aussi, heureusement, la magie opère à plein. Comme ici. Passer quelques centaines de pages dans la caravane de John est une expérience fabuleuse, un bain de bonheur, l'occasion de cotoyer un gigantesque bonhomme. Il n'y a pas d'autre terme. Un gigantesque bonhomme.
Ce "voyage avec Charley" c'est un peu l'antidote à tous les déplorables Coehlo, tous les pauvres Saint-Exupéry, tous les affreux Eric-Emmanuel Schmitt qui croient utiles de déverser sur l'humanité des tombereaux de morale recuite et de recettes pour mieux vivre. Ils disent, ils disent, ils disent, ils noient tout de phrases toutes faites, enfermant la vie dans des carcans insupportables au mieux, hypocrites au pire. Steinbeck lui, s'il se pose les mêmes questions, se garde bien d'avoir des réponses. Ce n'est pas son problème. Son problème, c'est de voir ce qui l'entoure, et de comprendre ce faisant que c'est encore la chose la plus difficile qui soit.
A cinquante-huit ans, alors qu'il a écrit un livre aussi gigantesque qu'A l'est d'Eden, le voilà qui réalise qu'il ne connait plus son pays, et que continuer à écrire dessus relève désormais de l'imposture. Et hop, de sauter dans une caravane avec son fidèle Charley, histoire de traverser les Etats-Unis dans le sens inverse des aiguilles d'une montre ! Voyage absurde et merveilleux, qui lui échappe à mesure que les kilomètres s’amoncèlent, prétexte à des rencontres sans lendemain, sur fond de paysages sublimes et d'interrogations sociales et sociologiques auxquelles il ne pourra jamais vraiment répondre. Enfin qu'importe… l'essentiel dans tout ça réside derrière les mots, derrière les idées. Ce qui est hallucinant, c'est de savoir si bien se raconter sans forfanterie, sans misérabilisme. Comme si John avait compris la bonne distance aux choses : il ne s'intéresse pas à lui en tant qu'individualité fermée, mais en tant qu'individu en interaction constante avec ce qui l'entoure, avec ce qu'il rencontre. Autant d'occasions de faire preuve d'humour, d'humanité, d'humilité, d'intelligence. La sagesse n'a pas besoin d'arguments, elle agit par l'exemple. Elle est là, tout naturellement, prête à servir de référence. Ou pas.
Et Charley dans tout ça ? Juste le chien le plus merveilleux du monde, qui (hasard ou coïncidence) a su trouver le maître le plus facétieux du monde. Que de telles histoires d'amour puissent exister permet d'oublier, un peu, l'inconvénient d'être né.
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Créée
le 17 oct. 2013
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