Les bonnes épopées sont rares.
D’abord parce que ça sombre vite dans le niaiseux. Les héros sans peur et sans reproche, les monstres effrayants, les amours chevaleresques… Tout ça a un gros potentiel de ridicule qui fait qu’on en arrive rapidement à se moquer de ce qu’on a adoré un jour, parce que, tu comprends, on est un adulte maintenant.
Les contes héroïques, les mythes et les légendes, l’Illiade et l’Odyssée, toutes ces histoires ont passé victorieusement l’épreuve du temps et le pire qu’il puisse leur arriver c’est encore de finir en Opérette,
et encore, quand c’est le cas, comme pour La Belle Hélène, c’est Hoffenbach qui s’y colle, et ça reste du génie.
Mais les épopées contemporaines ?
La science-fiction nous en a donnée quelques unes… dont Dune et Star Wars, la fantasy a heureusement eu Tolkien, mais dans l’ensemble, il est rare d’avoir au premier degré un long récit poétique d'aventures héroïques où intervient parfois le merveilleux, une suite d'actions extraordinaires, merveilleuses, étonnantes ou héroïques.
Définition trouvée sur le net, je me suis pas fait chier.
THE WATERSHIP DOWN, c’est ça : une épopée hyper géniale qui résiste au ridicule et qu’on lit sans honte en retrouvant une âme d’enfant.
L’histoire raconte la migration de quelques individus fuyant leur tribu, sur la foi des visions cataclysmiques de l’un d’eux. Ils iront de danger en danger avant de pouvoir trouver le lieu où ils fondront leur nouveau clan et, même là, tout ne sera pas immédiatement résolu.
Tout y est : le chef malin et résolu, le gros balaise, l’ingénieux, l’inspiré, le terrible méchant, les monstres… Et pourtant, à aucun moment le lecteur ne lâche le livre ou regarde cette histoire avec condescendance. Et ce pour une bonne raison.
En effet, les protagonistes de ce récit épique sont… une garenne de lapin.
Comme tous les lapins, nos héros sont peureux, peu armés contre l’adversité, effrayé par nature et l’aventure. Ils ont leur mythes et légende, qu’on découvrira de loin en loin, leur langage qu’on finit vite par acquérir.
On apprend ainsi qu’un lapin pris de panique et tombant en catalepsie devient Sfar, ça ne s’invente pas
Leurs adversaires sont nombreux : les hermines, les belettes, les renards, les chiens, les chats, les hommes… Et leurs alliés bien peu nombreux.
Grâce à cette distance que créée ce récit animalier, on se glisse avec bonheur dans les actions rocambolesques de nos héros, qui ne sont pas sans rappeler, en plus héroïque et moins bucholique tout de même, celles des héros du Vent dans les saules (1908)
Publié en 1976 Watership Down est l’un des plus grands succès de librairie au monde, bien injustement méconnu en France. Heureusement, il a été réédité par le fabuleux éditeur Monsieur Toussaint Louverture
(Monsieur TOussaint Louverture, un modèle à suivre pour tout éditeur en herbe, et c’est un expert qui vous parle).
La nouvelle traduction propose des noms de personnage plus en rapport avec l’œuvre anglaise originale, la première édition des années 70 proposant des noms francisés pas toujours judicieux
Traduction qui n’est pas sans rappeler la hideuse traduction des héros de Tolkien en FRODON et BILBON au lieu de Froddo et Bilbo. On HAIT les gens qui disent BIBLON. ou FRODON. Ils doivent mourrir vite.
Comme toujours avec MTL, le livre est magnifique et soigné, c’est un régal à lire, le papier est beau, la mise en page impeccable, les polices de caractère élégante et faciles à lire.
Bref, ce livre est un superbe objet, un écrin de choix pour un récit indispensable qui ramène le lecteur en état d’enfance, prêt à suivre le merveilleux, et que je rapprocherais d’un film comme Princess Bride, justement pour cette astuce qui consiste à créer de la distance pour mieux impliquer le lecteur.
Les thématiques abordées sont nombreuses, riches, ça évoque l'exil, la vie en société, la dictature, le voisinage, les différences ou le sacrifice... C'est une oeuvre qui, sous couvert d'un récit distrayant donne à penser. Un de ces récits qu'on a envie de lire à des enfants. Ça donne même envie d'avoir des enfants juste pour leur lire ce livre.
Bref, jetez vous sur cette merveille. Lisez le, et puis baisez comme des lapins pour pouvoir le lire à vos lapereaux.
Je découvre qu’un film d’animation existe, je vais tenter de le visionner de ce pas, je reviens vous dire ce que j’en ai pensé.