Quand, soudain, tombera la nuit noire sur ma carcasse fatiguée, quand j'aurai dit "au revoir" à ceux qui comptent encore - si j'en ai eu le temps et l'envie -, quand je me serai envoyé mon dernier verre de ce rhum arrangé et ma dernière cigarette fourrée, confectionnée par mes doigts funambules, chargée pour chevaucher une dernière fois les étoiles en voyageur immobile, j'aurai pas bougé d'un centimètre.
Le même petit con, mais en vieux.


J'espère que j'aurai pas la trogne de mon père. Quoique, j'en aurai sûrement plus rien à foutre. Je les aurai sûrement oubliés depuis belle lurette, lui, ses sourcils noirs et gris, ses doigts jaunis par les Gitanes et sa voix rauque. Et ma mère aussi.


Quand viendra ce jour et que mes yeux fous ne discerneront plus que les contours de ce qui m'entoure, quand ma voix ne portera pas plus loin que les plis de ma tête, quand je serai devenu si vieux que même la mort hésitera à danser avec moi, j'hésiterai pas à lui caresser la croupe, elle pourra faire sa sucrée, crois-moi, j'oublierai mes manières.


Mais avant, si j'en ai encore la force, je me redresserai pour contempler le massacre, les vestiges d'une vie. Tout ça pour ça. Cloué sur ma paillasse, sec, ridé, aussi vieux que peut l'être l'éternité, plissant des mirettes pour observer mes petits-enfants casser les couilles de leurs parents. Moi qui voyais comme un putain d'aigle.


Je ne sais pas ce que ça bouffe, un vieillard, mais je sûr que j'aimerai encore le couscous. Faudra me nourrir sinon, je me connais, je raconterai des conneries à tout le monde : que ma mère, c'était Romy Schneider. Que j'étais fou amoureux d'elle et qu'elle était juste dingue de moi, alors, elle avait préféré mettre fin à ses jours de peur de consommer un amour interdit.
Que mon père, c'était Chet Baker, qu'il était beau comme une chouette, et qu'il était pas mort. Il pouvait pas mourir. Il était fait en trucs qui meurent pas, inaltérables. Que, malheureusement, il en avait pas eu assez pour moi.
Que j'avais assassiné Kennedy en soufflant une boulette de papier de ma sarbacane et que j'étais rentré chez moi à pied parce que il n'y avait plus de métro. Que j'avais mangé de la chair humaine en ragoût avec John Huston alors qu'on tournait «Le Trésor de la Sierra Madre» dans un Mexique transpirant, avec une purée de patates douces.
Je raconterai par le menu mes coups de vices. Mes plans nazes se transformeront en missions suicides. J'aurai la gueule de Mitchum, les couilles de Peckinpah, la pomme d'Adam de McConaughey, les yeux de Newman, la classe de Ti Lung, la bonne humeur de Brando, les cheveux de Bruce Willis, le topinambour de Ron Jeremy.
Je dirai tout parce que j'en aurai plus rien à foutre.


J'ai toujours détesté les gens et ils me l'ont toujours bien rendu. Ma famille principalement.
Un jour, ils m'ont demandé ce que je préférais : plutôt incinéré ou enterré ? Étouffant un «Qu'est-ce que j'en ai à foutre ?», j'ai dit : «enterré dans le jardin, comme un cow-boy, je veux être là, pas loin, pour que les mômes qui jouent à la baballe fassent un des poteaux avec le petit tas de terre qu'il y aura sur moi». Moi, je veux bien jouer avec eux.
Mais, c'est hors de question qu'on me crame, tu m'entends ?
Je ne suis pas une putain de merguez!


Je ne sais pas si je suis tombé dans ce qui se fait de pire au niveau familial mais c'est bien imité. J'ai toujours pensé que j'avais été adopté et connaissant le type qui m'a élevé, je me suis rapidement dit qu'il m'avait sûrement dérobé. Je ne l'ai jamais trouvé très catholique comme personne.


Une autre éventualité recueillait tous mes suffrages : je venais d'une autre planète.


Lorsque viendra mon soir, te dis-je, je jouerai avec ma langue et les deux ou trois ratiches encore plantées dans ma gueule. Comme un con. Je bredouillerai un «Allez tous vous faire enculer !». Comme ça. Gratuitement.
Personne n'y fera trop attention, comme d'habitude, sauf peut-être la femme de ce fils que je n'ai pas encore.
Elle viendra voir ce que veut le vieux. Elle sera douce et j'en profiterai pour reluquer les fruits qui me sont interdits. Dans les plis du tissu.
Et là, sur ses deux seins, ses coussins que j'imagine lourds et chauds, mes deux ou trois dents esquissant un sourire bienheureux, je laisserai échapper mon dernier souffle.

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le 14 mars 2017

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