Je pars sur un mauvais pied en commençant ce petit pavé. Et s’il-vous-plaît, ne me jetez pas de pierres (mais je veux bien des pièces de deux euros), car je me confesse. Bien que je baigne tout entier dans ma passion pour l’art, je suis aussi un bras cassé pour ne pas avoir pu voir plus en détail les plus grands classiques du cinéma noir et de type gangster. Je sais, c’est foutrement paradoxal. A l’heure où j’écris ce texte, j’ai le minimum de connaissances sur le sujet. 1-0 pour mon inculture.
Mais d’un autre côté, je reste bien placé pour vous livrer un avis. Eloignons-nous un peu du cinéma même, 91 Days est avant tout un anime. Pas de Coppola, Leone et autres parrains des mythes de la mafia américano-italienne. De l’autre côté de la planète, il y a le Japon. Et tout comme la géographie du monde le veut, c’est aussi plus de 10 000km de différences dans la façon d’aborder le sujet. Vraiment ?
Nous avons déjà eu Baccano ! en 2007. Gungrave, Black Lagoon, Requiem for the Phantom. Que du bon dans cette mini liste. Mais Baccano!, lui, c’est celui qui pourrait avoir tout amorcé pour 91 Days. A cette époque, Brain’s Base a le vent en poupe. Quand on parle du studio, c’est souvent le nom de Baccano! qui revient à la bouche. Certains diront même qu’il y a eu un avant et un après Baccano ! Je reste cependant réaliste. Brain’s Base est un studio japonais comme un autre – un joli quota de bonnes productions, et un autre de mauvaises.
J’arrive là où je veux en venir. Durarara !!, du même studio encore, a plutôt bien marché. La part du gâteau était plutôt satisfaisante. Encore maintenant, on assimile facilement cet anime au studio. Pourtant, il y a eu désaccord afin de mettre au monde une saison 2. Mais elle existe ! Une petite troupe d’animateurs de Brain’s sont alors partis former Shuka, le groupe derrière 91 Days. Les gars ne se sont pas lancés les bras ballants et sans connaissance de cause ! Ils ont un background avec Baccano !, alors, neuf ans plus tard… 91 Days vient au monde. 1-1 pour ma culture !
Et ouais. Je suis enthousiaste. 91 Days, c’est un peu comme une propriété privée vidée de toute niaiserie, de fan-service et de marchandage de figurines. Ouste ! Et puis, c’est une œuvre originale, qui n’a aucune source d’appui d’un tel manga ou light novel obscur. Je dirais même plus, c’est bigrement rare pour l’animation japonaise de s’intéresser à l’univers bâti par le cinéma noir américain. Voilà, déjà, 1 point pour la note rien que pour ça.
Alors, concrètement, qu’avons-nous là ?
91 Days est, comme l’a si bien dite une critique dans le coin, l’histoire d’une mafia italienne au pays du soleil levant. Ne prenez pas cette vision au pied de la lettre. Comment feraient les japonais pour nous transmettre toute la particularité du film de gangsters ? C’est le Japon ! Ce pays qui serait presque une autre planète du Système Solaire ! Cette culture est tellement particulière qu’on est en droit de se poser ce genre de question.
91 jours. Ce n’est pas le nombre d’épisodes. La nuit d’un temps neigeux, quelque part dans les années 1920, la famille Lagusa se prépare à fêter le réveillon de Santa Claus. Des gamins s’amusent comme des petits fous, attendant l’arrivée du père de la famille. Angelo, plus tard Avilio, son jeune frère Luce et leur ami Corteo ne savent pas encore qu’ils vivent leur dernière journée de paix. Après le départ de leur copain, Angelo et Luce veulent surprendre leur papounet. L’insouciance. Quand la porte s’ouvre, le père veut voir les gamins pour leur souhaiter l’annuel blabla que l’on fait tous. La fratrie reste bien cachée au fond d’un placard, quand soudain, on frappe à la porte. A nouveau. Les voix sont menaçantes, et la douce chaleur de la famille commence à se dissiper. La fameuse mafia. On entre, s’ensuit une sombre discussion pour enfin aboutir sur une mise à mort de la famille. L’instinct poussa le jeune frère Luce à rejoindre sa mère. Aucun des trois ne fêtera Noël ce jour-là, ni jamais. Angelo ne pouvais que regarder. Ils étaient trois, il s’en souviendra. Le garçon profita d’une ouverture pour s’enfuir dans les bois, alors qu’une balle manque de la tuer lui aussi.
Sept ans plus tard, se faisant appeler Avilio Bruno, Angelo passe ses journées à chasser du porte-monnaie. Quand un jour, une lettre pour lui. Son propriétaire connait les noms des meurtriers. Tout en sachant que ces enflures ne sont autres que des grandes pontes de la puissante famille Vanetti, Avilio ne peut s’empêcher d’exprimer son premier sourire depuis bien longtemps. Enfin, il a l’occasion de se bouger, sortir de l’ombre afin d’accomplir sa vengeance.
91 jours, ce n’est pas le nombre d’épisodes, mais le compte à rebours qu’a Avilio pour assouvir sa vendetta. Ou plutôt, le temps qu’il lui faudra pour se rapprocher de ses cibles. Sur le papier, ça pue le classicisme. Sur le fond, on en prend plein la gueule. L’épisode pilote est efficace, mais ne casse pas trois pattes et les ailes d’un canard. Autant le dire tout de suite, ça enchaîne climax sur climax. Tiens, d’ailleurs, j’ai le mot idéal pour décrire le truc, c’est crescendo (italien en plus) ! Autant en intensité, actions et retournements de situations. L’amas de cadavres dans Shingeki no Kyojin n’est pas sorti de votre tête depuis le temps ? Ce n’est pas avec 91 Days que le nombre de corps va se réduire. 91 Days pourrait aussi être le nom d’une boucherie du coin. Le rouge est presque une couleur dominante ! Même plus que dans une série de vampire, c’est dire. Vous vous souvenez tous de Raito Yagami (Death Note) ? Avilio c’est son petit frère caché, des racines italiennes en plus. Je n’irais pas jusqu’à dire que le personnage a le développement et le charisme d’un être divin du niveau de Kira, mais le jeune homme sait ce qu’il a à faire pour se rapprocher du Don (parrain). Les moyens ne manquent pas, mais la moindre erreur sera mortelle et risquerait de révéler son identité secrète d’Angelo Lagusa. Son ascension au sein de la famille est impressionnante. Mais dans le cadre d’une ville américaine sous la Prohibition, dominée par une foulée de criminels, Avilio devra rentrer dans son équation deux autres grandes familles. Il y a les Orco et les Galassias. Ces derniers étant les maîtres de Chicago, les Vanetti et les Orco ont intérêts à ne pas étaler leur soif de sang et de territoire. Les Galassias veillent. Entre eux, il y a des électrons libres, plus ou moins dangereux. La police, déchue comme toujours dans ce genre de situations. L’argent est l’élixir de la vie dans cette ville nommée Lawless. Il y a aussi ce type nommé Fango, le plus dangereux du casting.
Ce qui est frappant, c’est le travail de documentation du studio. Sans mettre sous le projecteur la réussite de l’ambiance et des choix de couleurs, on oublierait presque que les personnages s’expriment en japonais ! Tout concorde, l’architecture, les accessoires, accoutrements, la Prohibition et les codes tirés des œuvres maîtresses du cinéma mafieux. La gnôle coule à flot, les flics sont achetables, les flingues sont plus répandus que les mouches au-dessus des cadavres. Bon, il y a de la CGI. Et comme je suis un odieux connard qui prône la passion à la facilité, ben j’enlève un point de la note.
Et dans l’air ? Il en flotte de belles musiques. Jazz, blues, l’Amérique mafieuse transpire par tous les pores. Ce n’est pas parce qu’une flûte choisi de nous jouer une petite balade entrainante que ce qui se passe à l’écran nous veut notre bien. La musique joue avec nous, elle rebondi sur les rythmes, la tension. Je kiffe. Et encore, je n’ai pas parlé de l’opening ! Quelle baffe. Mes dents… Mais mes oreilles. Si certains de vous connaissent Ling Toshite Shigure, soyez prêt. Le groupe derrière les très bons openings de Psycho-Pass (et de Tokyo Ghoul, histoire de compléter) frappe fort une nouvelle fois. Les séquences animées sont lourdes, dans le bon sens. Et la voix si particulière de l’interprète canalise le drame vécu par Avilio, sur fond d’images le montrant à la fois pathétique et digne de pitié. Ce monde rongé par le mal, les actes commis par la pègre. Les évènements montrés semblent tirés d’une tragédie, ce qui est même montré à un moment donné. Si on veut ressentir de l’empathie pour Avilio, l’opening se charge de nous la transmettre à chaque début d’épisodes (pour ceux qui ne cliquent pas directement à deux minutes pour skip). Je ne suis même pas étonné d’avoir laissé l’opening défiler douze fois.
Plus on avance, plus le récit dévoile l’être humain qui habite chaque personnage. Ce ne sont plus seulement des boules de vice (sauf certains cas), mais des bêtes intelligentes et hors du simple instinct animal. Parmi ces bêtes carnivores, je compte aussi Avilio. Nero, seconde figure la plus importante du plot, n’est pas qu’un bout de viande manquant de bon sens. Etonnamment, ce gars est un curieux mélange de fraternité incarnée et de dangereux criminel. L’empathie est plus de son côté que de celui d’Avilio, alors qu’il n’est autre qu’une de ses cibles à abattre. Mais l’anime ne manque pas de nous rappeler qu’il était présent cette nuit-là. De même pour Vanno, Tigre, Fio. Tout n’est pas seulement noir.
Blanc et noir. C’est bien ça. Au début, la quête d’Avilio nous passionne. Nous voulons connaître le sort qu’il réserve aux méchants. On avait presque pitié du pauvre chien errant qu’il représente. Pourtant, quelques épisodes plus loin, c’est l’inverse de l’aiguille d’une montre. On se retrouve à sympathiser pour du pseudo connard comme Nero, on essaie de comprendre ce qui pousse cette puissante famille à se hisser toujours plus loin, on se retrouve à acquiescer quand tuer devient nécessaire, même pour un mafieux. Cette pyramide italienne est codée de règles de conduites. Mais l’honneur et la fierté du nom importe sur tout le reste. Même au-delà de l’amour de la famille, des proches, même au-delà de Dieu. Ils peuvent très bien aller à la messe tous les dimanches matin, comme le fait la pègre depuis la nuit des temps. Ils peuvent très bien se mettre à réciter des prières de confession avant la mise à mort de leurs proies. Croyez-le ou non, même ce genre de pourriture reste profondément humaine. Et puis, c’est le propre de l’homme que de commettre du mal. Un ange peut finir par tomber en enfer, n’est-ce pas Avilio ?
Au final, il n’en revient qu’à nous seuls de décider qui voit juste. Non pas qui est juste, mais qui voit juste. La nature de l’homme est ce qu’elle est. Chacun aura son personnage préféré, mais ce qui est certain, c’est qu’on se posera deux fois la question.