Marvel sait faire des séries. Peut-être plus que des films, d’ailleurs, vu les sorties récentes de la pour-l’instant-très-oubliable-Phase-5. Le standard du film de super-héros qu’ils ont eux-mêmes imposé sur la décennie 2010 s’essouffle et peine à se renouveler ; les dernières réussites un peu innovantes sont maintenant assez vieilles : Black Widow et Les Éternels en 2021, Doctor Strange 2 en 2022. La forme sérielle leur permet plus de liberté formelle et c’est souvent un régal (WandaVision, Loki, Moon Knight, Hawkeye). Agatha All Along, de ce point de vue, ne déçoit pas. Si j’étais sceptique sur l’idée de la série au début – un spin-off de WandaVision sur le personnage antagoniste, certes iconique, Agatha Harkness – mes doutes se sont vite estompés.
La série nous emmène là où le MCU nous avait laissés : Agatha est emprisonnée dans une fausse réalité créée par Wanda, condamnée à vivre en tant qu’Agnes à Westview, aux côtés des habitant·es libéré·es, sans aucun pouvoir. Mais depuis, il y a eu Doctor Strange 2, et Wanda est morte. L’épisode 1 réussit la parfaite transition en reprenant le système de WandaVision (une parodie de série B policière), en nous rappelant brièvement les épisodes précédents, et en introduisant deux éléments perturbateurs : Rio (Aubrey Plaza, formidable), qui semble connaître Agatha, et un mystérieux Teen (Joe Locke), ado gothique fasciné par la sorcellerie et Agatha en particulier. Il l’implore de l’emmener sur la Witches’ Road, mythe du monde sorcier qu’elle serait la seule initiée à avoir emprunté, et survécu. Pour cela, il et elle réunissent un sabbat, permettant d’introduire différents types de sorcelleries et autant de personnages : les potions (Jennifer Kale, privée de magie), la voyance (Lilia Calderu, hantée par ses visions), la protection (Alice Wu, maudite), la mort (la truculente Mrs. Hart de WandaVision, puis Rio, Lady Death herself).
On ne va pas tout raconter. Mais on peut dire que Jac Schaeffer est vraiment maligne et réitère son exploit de WandaVision qu’elle avait produite et co-écrite : derrière une construction classique (une épreuve ludique correspondant à un personnage, son histoire et sa sorcellerie par épisode), elle cache un retournement provoquant un second visionnage immédiat, et une intrigue qui vous émeut aux larmes. Les sorcières de Schaeffer sont des femmes libres dans un monde et des époques qui cherchent à les asservir. On comprend que la soif de pouvoir d’Agatha est une lutte sans issue contre le deuil et la mort. Chacun·e doit affronter le tragique de l’existence avec les armes qui lui sont données. De la même manière que l’épisode 8 de WandaVision était déchirant et magnifique (une traversée des souvenirs traumatiques de Wanda), l’épisode 7 consacré à Lilia (Patti LuPone, impériale) est peut-être le plus beau du MCU, autant dans sa narration que sa réalisation.
Alors certes, il n’y a que des femmes, dont des lesbiennes, et le seul personnage masculin est homosexuel : la fanbase incel de Marvel crie au scandale wokiste. Si l’on est un peu plus évolué et que l’on n’a pas besoin des gros muscles et de la testostérone de Chris Hemsworth et Chris Evans pour apprécier une série, Agatha All Along ravit par la finesse de son écriture, la rareté des effets spéciaux numériques et la qualité du jeu des actrices (même si Karthyn Hahn en fait vraiment trop par moments). Sous les inévitables folklores super-héroïques et sorciers qui constituent son fond de sauce, Agatha All Along est une excellente série sur l’émancipation, la liberté et le deuil. C’est pas sorcier.