Le sourire ingénu de Baro (quelle sincère admiratrice de B1A4 fais-je) m'avait persuadée qu'Angry Mom serait l'un de ces drama légers, pleins d'un humour innocent, sans grand intérêt cependant ; il va sans dire que le synopsis même de la série avait conforté cette idée et j'avais avec célérité plongé corps et âme entiers dans cette expectative.
Et puis ont été diffusés les deux premiers épisodes. Et puis j'ai été médusée, hébétée, transportée, confondue, dans cet ordre ou dans l'inverse, je ne me souviens plus précisément. Une noire atmosphère transporte l'histoire d'Angry Mom dans un registre bien différent de celui que j'avais imaginé. Le début marque d'emblée les esprits en ce qu'il aborde des thèmes assez rarement traités dans les drama, notamment le viol d'une adolescente. Qu'est donc réellement Angry Mom ?
Il s'agit de la transposition imagée de la société contemporaine dans un lycée extérieurement quelconque, où hiérarchie, corruption et abus rythment l'apprentissage d'abord social des élèves. Les professeurs sont, eux, les sbires du président de l'école, lui-même à la botte d'hommes politiques sans scrupules. Alors quand une lycéenne un peu trop téméraire, Jin Yi-Gyeong, pénètre dans ce monde impitoyable et y laisse la vie, se déroule une succession d'événements injustes, durs, violents, afin d'expliquer les raisons de sa mort.
La première affectée par la disparition de la jeune fille est Oh Ah-Ran, sa meilleure (et seule) amie, interprétée par la très populaire Kim You-Jung, une habituée des mélodrames (nommément May Queen) et des rôles de victimes. Fréquemment violentée, humiliée, battue, par ses camarades de classe, Ah-Ran dissimule son malheur à sa famille, par peur des représailles. Sa famille en question se compose de sa mère, Jo Gang-Ja, tout juste trente-quatre ans, en son temps petite brute au lycée, qui s'est assagie lorsqu'elle est tombée enceinte (oui, quand elle était encore une adolescente). Gang-Ja est mariée à Oh Jin-Sang, un contremaître, lequel est convaincu qu'Ah-Ran est la fille de la sœur de sa femme... Le « vrai » père de la jeune fille est quant à lui inconnu (tout du moins jusqu'au dernier épisode du drama).
C'est donc Gang-Ja, cette mère abattue par la misère de sa fille, qui s'engage la première à révéler le fil des manigances gouvernementales serrément noué au lycée. Grâce à sa complice Han Gong-Joo (remarquez son étonnant prénom : « princesse » en coréen), dont le business à peine légal mais florissant lui procure une armée d'hommes coiffés d'oreilles de chat (vous comprendrez si vous regardez le drama), Gang-Ja se crée une nouvelle identité, celle de Jo Bang-Wool, une lycéenne redoublante. Elle s'infiltre alors dans l'école de sa fille pour enquêter.
Voilà où le bât blesse : les choix inappropriés de Gang-Ja tiennent peu crédible le sérieux du sujet. Le manque de vraisemblance de la situation désassemble complètement la logique du combat de cette « mère en colère », et c'est inopportunément au spectateur de passer outre à cette loufoque improbabilité ; il est en effet peu plausible qu'un adulte puisse déambuler allégrement dans les couloirs d'une école ou suivre une leçon de littérature en compagnie de sa fille. Heureusement, les autres personnages réagissent de façon sensée à cette imposture lorsqu'ils la découvrent. Le bon sens n'est donc pas absolument absent du drama.
L'absurdité de la situation s'efface, du reste, prestement au profit de la dangerosité malsaine qui régit l'école. Gang-Ja / Bang-Wool y fait ainsi la connaissance de quelques élèves, notamment celle de Ko Bok-Dong, responsable des meurtrissures d'Ah-Ran, apparemment à la tête de la pyramide qui hiérarchise les lycéens, et celle de Hong Sang-Tae, fils du président d'honneur de l'établissement, jouissant d'un népotisme si aberrant que c'en est hilarant. Cruels les uns envers les autres, ces adolescents se découvrent peu à peu en présence de Gang-Ja, laquelle en vient à les aimer également comme ses enfants.
L'autre « héros » du drama est le professeur Park No-Ah, tout juste affecté comme professeur principal de la classe d'Ah-Ran (par conséquence celle de tous les personnages principaux). Figure d'un allant parfois excessif, No-Ah saisit en dernier le drame qui se joue à l'école. Il est l'allégorie d'un espoir en perdition, luttant pour survivre dans une mer de jeunes âmes résignées, comme un peu l'était Jung In-Jae dans School 2013.
Ensuite viennent ces adultes corrompus, cœur du mal qui enlace le lycée, à commencer par le président Hong Sang-Bok. Il est un individu misogyne et violent, qui jure n'agir que pour le bien-être de son fils (lequel il maltraite néanmoins). Il se fait obéir du professeur Do Jung-Woo, en apparence sympathique — en vérité dénué de compassion, et de l'homme de main An Dong-Chil, ancienne connaissance de Gang-Ja. Au-dessus de ces trois-là s'agitent le pouvoir et l'argent de politiques vénaux, y compris l'influence de Kang Soo-Chan, un candidat renommé et prêt à tout pour être élu.
Je passe sur quelques personnages secondaires pas inintéressants pour ne pas digresser plus longtemps. Il me faut toutefois revenir sur An Dong-Chil et le professeur Do Jung-Woo. Ils sont, selon moi, les deux figures les plus marquantes d'Angry Mom en ce que leur parcours est le plus tortueux et cependant le plus accompli. Ils traversent la mini-série d'un bout à l'autre sans jamais perdre en crédibilité, sans jamais sombrer dans l'excès ou l'indifférence. Leurs dernières scènes sont divines, et ils pleurent un repentir qui m'est d'autant plus sincère que le jeu des acteurs, Kim Hee-Won et Kim Tae-Hoon, est sublime. Bien entendu, je ne peux reprocher l'attachement de la gente féminine pour Bok-Dong, l'apprenti mauvais garçon, mais les deux hommes susnommés me semblent être d'un niveau bien supérieur.
Si tous ces personnages se démènent isolément pour réussir ou survivre, c'est en fait les uns avec les autres qu'ils y parviendront, à l'image de cette coalition de mères de famille mécontentes qui sourd dans les derniers épisodes. L'histoire de chacun est embranchée sur la voie narrative première, et l'ensemble forme un réseau complexe mais réfléchi ; toute question est résolue, rien n'est abandonné en cours de route. En seize épisodes, en autant d'heures, Angry Mom s'établit comme un drama incomparable des plus réussis, cadencé par une musique décalée, jazzy, d'abord dérangeante, finalement prégnante.