Bakemonogatari, c'est compliqué au premier visionnage.
L’ennui contrit d’interminables dialogues à la complexité artificielle s’alterne avec l’embarras du fanservice à base de lingerie féminine. La mise en scène hallucinée parvient à rendre encore plus opaques d’incompréhensibles jeux de mots sur la géométrie des kanjis, alimentés par des montagnes de références humoristiques glissées en messages subliminaux. Les conclusions n’en sont pas, et la fin de la série ne se situe pas au bout. On en ressort fatigué et désorienté, avouant volontiers que c’était beau, mais avec un goût parnassien en bouche : c’était beau, mais vide. Finalement, rien n’avait de sens. Il ne laisse derrière lui que les souvenirs éphémères d’histoires floues aux résolutions lacunaires, une excellence graphique dégénérée au profit d’un manque de sens amer de déception.
Et pourtant, Bakemonogatari est un chef-d’œuvre. L’introduction d’une vertigineuse quête de vérité intérieure d’une banalité sidérante. Un monde d’aberrations démystifié, où les traumatismes des personnages explosent en incarnations spirituelles autodestructrices. Et les monstres au Soleil sont plus effrayants qu’ils ne partent pas à la lumière. Derrière leur masque, la jalousie, la honte, l’agression sexuelle, la vengeance et la mort. Pour soigner ces cicatrices suintantes de dégoût de soi et de rejet des autres, l’horrible froideur mécanique d’une solution unique : l’acceptation. Il n’y a aura pas de résolution clinquante, pas de happy end où ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. On ne se déleste jamais vraiment du poids de ses blessures dans Monogatari, on apprend simplement à vivre avec. Faute de mieux, par défaut.
Mais c'est la forme de Bakemonogatari qui a le plus de chance d'accrocher la première fois. Une prodigieuse mise en scène, subtile alchimie de plans hallucinés, de faux-raccords, de messages subliminaux et de scènes noires. Nouvelle Nouvelle vague appliquée à l'animation, le jusqu'au-boutisme de sa narration subjective en est la clef de voûte. On ne vit pas l'histoire à travers les yeux d'Araragi Koyomi, mais à travers son cerveau. C'est particulièrement visible lors des combats, souvent synonymes d'exécutions unilatérales. La douleur fait délirer le héros et nous plonge dans ces scènes d'ultra-violence graphique où ses intestins servent de lasso pour éclater son corps dans des gerbes de sang jaune fluo. C'est aussi omniprésent lorsqu'une fille est à proximité, où son attention se focalise sur le moindre sous-vêtement qui oserait apparaître une fraction de seconde. Le reste du temps, les gens, les voitures, les maisons qui n'ont pas de lien avec lui, tout ce qui l'indiffère est identique. Les messages subliminaux sont ses pensées et les scènes noires sont ses clignements d’yeux.
Parce qu'Araragi est un adolescent moyen, un peu pervers, ex-suicidaire réconcilié avec lui-même, il essaye depuis lors de sauver les autres. Et Bakemonogatari est Araragi tout entier : tout est son point de vue, tout n'est vu qu'à travers son prisme, tout n'est que sa vérité dans un monde de subjectivité et de mensonges à soi-même. Les combats se résolvent avec des mots plutôt qu'avec des coups, et notre narrateur a peut-être moins besoin de sauver que d'être sauvé. Hitagi Senjougahara n'est jamais tombée d'une centaine de mètres comme on peut le voir dans l'introduction, mais de quelques marches. Mayoi Hachikuji, Suruga Kanbaru, Nadeko Sengoku, Tsubasa Hanekawa : Bakemonogatari n'est que l'introduction de leurs arcs respectifs. Une sorte d'échauffement avant les vrais problèmes, qui exploseront tôt ou tard.
Voilà l’essence de Monogatari : une vingtaine d’arcs répartis sur trois saisons de crises, de rémissions, de culottes et de calembours. Toujours, l'acceptation de l'inadmissible, de l'intolérable, de l'insupportable. Des histoires d'amour sans passion, où la surintellectualisation de Senjougahara crève des sentiments qu'elle ne parvient jamais à avouer. Où les regrets de la parfaite Hanekawa éclatent lorsqu'elle apparaît, laide, enfin humaine. Monogatari, c'est la fin d'une adolescence entre fantasme et angoisse, sans lumière ni paillettes, vers un dénouement évident, banal, dramatiquement dédramatisé. Une saveur amère, trop réelle dans un monde d'aberrations et de fantômes qui ne sont, en fait, pas nécessaires.
Et qui nous dit qu'ils aient jamais existé ?