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Il était une fois...
Au cœur d’une bourgade de Flandres, une jeune femme gît sur le lit de la chambre 108 de l’hôtel Beau Séjour. Ses yeux vitreux ne laissent planer aucun doute sur son état. Pourtant, à peine le meurtrier déserte-t-il les lieux qu’une soudaine et profonde inspiration libère Kato de sa triste condition. Pour autant, elle ne tarde pas à découvrir que le corps inanimé reposant dans l’eau rougeâtre de la baignoire attenante n’est autre que le sien. Alors, que quelqu’un s’emploie à pénétrer dans la pièce verrouillée et la voilà qui s’enfuit à travers bois, incrédule et horrifiée par le spectacle de sa propre mort. Mais pour aller où ? Elle constate rapidement que les personnes de son entourage ne remarquent pas sa présence. Elle se considérerait définitivement comme un fantôme si certains de ses proches ne parvenaient encore à la percevoir. Parmi eux se trouve son père qui, outre le fait qu’il est le proviseur du collège local et également le trésorier du club de moto-cross de la ville, noie sa solitude dans l’alcool depuis que sa femme l’a quitté. Celle-ci a refait sa vie avec Marcus dont la fille Sofia a elle aussi vocation à entrer en communication avec Kato. Il en est de même pour Alexander Vinken, le chef de la police locale, et pour son fils Charlie qui entretiennent des relations pour le moins conflictuelles. Si on leur ajoute Inès, une amie d’enfance, ils ne sont donc que 5 à pouvoir interagir avec la défunte comme si elle était toujours de ce monde. Pourquoi eux ? Évidemment, Kato n’en sait rien et nous non plus. En revenant d’entre les morts, elle aurait toutefois pu garder une trace du déroulé des événements ayant abouti à son assassinat. Malheureusement, de cette funeste soirée, elle ne conserve aucun souvenir. Ne comprenant pas ce qu’elle fait là ni comment elle y est arrivée, elle décide de mettre à profit sa nouvelle existence pour percer les mystères entourant les circonstances de son décès et ainsi, d’en identifier l’auteur.
Un air de déjà-vu pas déplaisant
Le concept de « Beau Séjour » séduit d’abord par son originalité puisqu’il revient à la victime d’enquêter sur son propre meurtre. L’invisibilité que lui confère son statut permet à Kato de non seulement s’immiscer au cœur des investigations de la police fédérale mais aussi de pouvoir élargir ses recherches aux proches dont elle peut sans risque recueillir les confidences. Néanmoins, on s’aperçoit vite que malgré cette pirouette narrative attrayante, on a affaire ni plus ni moins à une intrigue des plus traditionnelles. Bien sûr, comme l’action se déroule dans une petite ville de Belgique, les protagonistes de cette histoire se connaissent tous et ne désirent pas que soit révélée au grand jour la nature véritable de leurs liens. De fait, ils n’hésitent pas à mentir ou user de rétentions d’informations dont on devine qu’elles relèvent de secrets inavoués. Ce faisant, les auteurs cherchent à nous égarer en éveillant nos soupçons sur des personnages qui gagnent en épaisseur au fil du récit. Pour ces raisons, et parce que la photographie se plaît à mettre en avant la grisaille dont le Plat Pays semble incapable de s’extirper, la série nous évoque parfois la fabuleuse première saison de « The Killing ». Toutefois, « Beau Séjour » ne possède pas la puissance immersive de sa consœur danoise. D’abord parce qu’il n’y pleut pas avec la même intensité, mais surtout parce que la noirceur de l’âme humaine y est moins prégnante. Malgré tout, on apprécie l’efficacité de recettes, certes éprouvées,mais efficaces au moment de se plier à l’exercice de reconstitution de faits dont on découvre petit-à-petit les acteurs.
Dur à croire
Tout cela fonctionne à merveille jusqu’à ce qu’un nouveau drame d’une ampleur inattendue survienne sans crier gare. Or, la mise en scène et la cruauté qui l’accompagnent paraissent démesurées dans un contexte où la narration avait jusque-là donné la primeur à la sobre réalité du quotidien des habitants d’une petite ville de Flandre. Toutefois, on se devait d’attendre le dénouement de cette histoire pour mesurer à quel point nos appréhensions étaient fondées. Et, malheureusement, notre impression première n’était pas illégitime. En effet, si la cohérence du récit n’est pas à remettre en cause et si l’identité du tueur constitue une réelle surprise, les motifs qui le poussent à commettre l’irréparable paraissent bien maigres au vue des actes dont il se rend coupable. Peut-être que le problème ici, c’est qu’il a une raison de tuer. Pour en terminer avec cette comparaison, ce qui sidérait dans la nature du meurtrier de « The Killing », c’est qu’il était simplement humain. Et cela suffisait à justifier son crime.
Une ode à la tendresse
Maintenant, si l’aspect fantastique qui constitue le socle narratif de la série n’apporte que peu à l’intrigue policière en elle-même, elle n’en reste pas moins un atout formidable. En effet, il est douloureux de voir l’effet produit par la mort d’un enfant sur ses parents. Mais que l’enfant en question assiste, impuissante, au spectacle de sa mère à qui on annonce l’innommable, et cela aboutit à une scène poignante. Par un doigt qui affleure délicatement sa main, par une tête qui, doucement, se pose sur son épaule, cette dernière recueillera l'amour de sa fille sans qu'elle ait la faculté d'en prendre la mesure. Il émane de ces brefs moments suspendus une poésie tout à fait singulière pour un genre qui en est souvent dépourvu. Par ailleurs, la présence de Kato aux yeux de son père incite celui-ci à se rapprocher de son ex-femme qu’il espère reconquérir. Quitte à mentir. Quitte à utiliser la disparition de leur fille à ses propres fins. Et si les moyens sont malhonnêtes, ce personnage parfois pathétique nous procure un sentiment de vulnérabilité foncièrement touchante. Ainsi, portée par ce trio d’acteurs absolument formidable de sobriété, « Beau Séjour » s’appuie sur son concept pour gagner en sensibilité et apporter une profondeur psychologique bienvenue à ses personnages. Il restait cependant à connaître le sort réservé au fantôme de Kato une fois l’enquête terminée. Sur ce point, les auteurs ne se sont pas osés à l’originalité et ils ont probablement bien fait. Il ne pouvait vraisemblablement pas en être autrement et toute autre fin aurait paru farfelue. Toutefois, ils s’emploient à lui accorder la tonalité mélancolique qui sied si bien à cette histoire.
Bilan
Alors non : « Beau Séjour » ne possède pas la puissance narrative des quelques séries nordiques auxquelles elle emprunte les codes et l’atmosphère au travers d’une photographie qui met à profit le ciel bas de Flandre pour apposer ses couleurs froides sur cette tragique histoire de meurtre. Toutefois, elle parvient à puiser dans le surnaturel une poésie et une sensibilité qui lui sont propres et la rendent particulièrement attachante. Alors, finalement, il nous importe peu que les causes de son décès ne nous paraissent pas totalement crédibles. Au moment de quitter Kato, on espère avant tout qu’au terme d’une seconde existence qui aura eu pour fonction de démasquer son bourreau et de permettre à ses proches de faire leur deuil, il lui soit enfin possible de reposer en paix.
Disponible sur Arte