Black Mirror est une série que l'on pourrait qualifier "d'anticipation", créée par Charlie Brooker, un journaliste anglais. On pourrait même parler d'anthologie plutôt que de série, tant les épisodes sont indépendants les uns des autres: on retrouve chaque fois des personnages et des univers différents, mis en scène dans des mondes qui n'ont qu'une seule chose en commun: l'omniprésence des écrans, ces fameux "Black Mirrors", qui nous entourent.
Ils peuvent être de simples téléphones. Il prennent parfois la forme d'une télévision, d'une tablette, d'un ordinateur. Mais il peut également s'agir de n'importe quelle sorte d'écran, tant qu'il sert à véhiculer des images numériques, devant lesquelles Brooker mettra souvent en scène des personnages au mieux béats, au pire complètement dépendants. Je réalise que ma critique est aussi explicite dans l'explication de la démarche du show que la série lorsqu'elle veut faire la satire des nouvelles technologies: vous aurez compris que ce que Brooker démontre, à travers ses épisodes d'une durée variante de 40 minutes à une heure et quart, c'est combien l'importance grandissante des écrans de toutes sortes dans nos vies peut devenir problématique. Voire terrifiante.
Pourquoi terrifiante ? Jusqu'ici, personne de sensé n'a jamais eu peur de son écran de télévision. Mais la démarche qu'adopte ici Brooker est semblable à celle que pouvait adopter Orwell avec son 1984 et Huxley avec son Meilleur des Mondes: il s'agit de mettre en scène un monde socialement différent, mais qui possède un point commun, au moins, avec le monde actuel: ici, la dépendance aux nouvelles technologies. Dans 1984, on peut être ainsi effrayé par la similitude entre le langage SMS et la novlangue, organe qui réduit la puissance du langage, et faire l'amalgame entre cette ressemblance et la décadence de la société présentée, gouvernée par un Parti Unique et totalitaire, ce qui est, de la part de l'auteur, un bon moyen de dénoncer certaines pratiques sociales.
Le problème, c'est que l'un est vieux de presque soixante-dix ans et est un exemple de roman d'anticipation, et que l'autre est une série créée en 2011. Et bien que cette dernière rencontre un certain succès, il faut bien reconnaître qu'elle n'a que les airs, l'apparence d'un 1984 numérique. Lorsque Orwell démontre avec la mise en place d'un univers la décadence sociale due au régime politique en place, il le démontre à travers plusieurs choses, et construit surtout un monde complet et cohérent. Dans Black Mirror, on a souvent les bases qui nous permettent de reconnaître une certaine décadence sociale, mais l'univers tout autour se limite alors à une simple dénonciation des nouvelles technologies. Par ailleurs, le format de la série (sept épisodes qui, à chaque fois, dénoncent une forme différente de la technologie) ne permet pas forcément d'assurer la crédibilité d'une série qui a parfois tendance à s'essouffler malgré son petit nombre d'épisodes. On dénote également une tendance à la série à transmettre ses messages avec bien peu de subtilité; elle va même parfois trop loin.
Ici, je pense à lorsqu'on apprend que la princesse a été libérée une demi-heure avant l'acte dans le 1 de la saison 1; ou encore dans le 2 de la saison 1, lorsque le protagoniste est approprié par le système.
Mais pourquoi il met 8, cet idiot, s'il n'aime pas la série ? Parce que justement, j'aime la série. Même si je lui reconnais de nombreux défauts, j'ai pris du plaisir à en dévorer les sept épisodes. D'ailleurs, l'absence de subtilité n'est qu'un défaut subjectif: la caricature est tout à fait un exemple de satire efficace. Il faut reconnaître, par ailleurs, que j'adore les univers de Huxley et d'Orwell, et que retrouver une série qui y ressemble m'a immédiatement plu.
Cette note est donc purement subjective, oui. Certains aimeront; d'autres n'aimeront pas. Je demeure toutefois à penser que la démarche de Brooker est tout de même efficace, quoique grossière, tant elle est servie par une mise en scène percutante (je pense au premier épisode de la saison 1) et une réalisation froide et génialement précise (épisode de Noël), ou encore des acteurs de haut niveau (saison 1, épisode 2). A voir, donc.