Boogiepop wa Warawanai est sans aucun doute mon coup de coeur de cette année 2019 mais c’est aussi une expérience particulière qui a suscité des avis très divergents auprès de ses spectateurs.
Boogiepop est à la base une série de light novels écrite par Kouhei Kadono depuis 1998 et toujours en activité au jour d’aujourd’hui avec un 23e volume paru en 2019. L’histoire nous entraîne dans une ville moderne du Japon, où nous observons comment des créatures et humains aux pouvoirs surnaturels évoluent sous le regard vigilant de l’entité appelée Boogiepop, un être énigmatique qui habite le corps d’une adolescente ordinaire.
Malgré de nombreux changements, cette adaptation télévisée de 18 épisodes retranscrit fidèlement la nature du matériel de base : quatre récits au style différents, avec des références parfois dédiées à la culture rock et tantôt à la musique classique, des élans de kitsch (je pense à certains chara-design) tout en restant très sobre la plupart du temps. Bref, il y a certain éclectisme qui se dégage de Boogiepop wa Warawanai et en donner une image aussi claire que précise n’est pas simple car quasiment aucune de mes remarques ne vaut pour l’ensemble de cette production.
L’oeuvre peut endosser de nombreuses étiquettes : thriller, fantastique, mystère et drama. En revanche, il ne faut pas s’attendre à une série d’action ou à un simple divertissement. Les quelques scènes de combats, plutôt cools au demeurant, n’ont pas beaucoup de poids comparés au suspens malaisant de cet univers phantasmagorique, ou encore face à l’exercice cérébral demandé pour suivre son intrigue et ses réflexions sur la nature humaine.
Sans pousser trop haut sur un piédestal les mérites intellectuels de cette série, je dois dire que celle-ci possède suffisamment de richesse pour maintenir notre intérêt et pousser à la réflexion sans être trop pédant. J’ai particulièrement apprécié le versant psychologique, qui est fortement exploité et même discuté au sein même de certains épisodes (par Kazuko Suema notamment). L’anime aime jouer sur la manière dont ses acteurs perçoivent une réalité toujours changeante et analyser ce qui transparaît en filigrane fait partie de l’expérience. Par ailleurs, différents troubles mentaux sont utilisés comme influences dans la caractérisation de plusieurs personnages, à commencer par Boogiepop et son dédoublement de la personnalité. Nous sommes ainsi amenés à rencontrer des êtres spéciaux, des anomalies qui permettent d’explorer les frontières de l’humain et du non-humain, du normal et du pathologique. Il n’est pas étonnant que l’anime se concentre plus particulièrement sur les antagonistes et laisse leurs pensées s’exprimer en détails. Ce n’est pas leur puissance ou leur charisme qui les rendent réussis; ils fascinent dans leur manière de fonctionner en elle-même.
En ce qui me concerne, le principal attrait de la série reste l’atmosphère. Plusieurs éléments contribuent à cette opinion. Je pourrais citer l’ost du talentueux Ushio Kensuke (Ping Pong, Koe no Katachi), la cinématographie maîtrisée du réalisateur Shingo Natsume (OPM 1, Acca) ou encore l’excellente performance d’Aoi Yuuki pour Boogiepop. Mais en plus de cela, c’est aussi, et surtout peut-être, la combinaison entre environnement urbain et thriller surnaturel qui sont la fondation de cet anime et lui donne une ambiance si particulière. On retrouve avec Boogiepop wa Warawanai le même charme qui m’avait déjà captivé dans Kara no Kyoukai la décennie précédente.
Un autre facteur qui explique mon appréciation de Boogiepop wa Warawanai est que mon visionnage de la série de 2019 suit de près celui de Boogiepop Phantom (2000) du même studio Madhouse, un projet particulier et complètement à part entière. Boogiepop Phantom est une série expérimentale intéressante qui joue avec les visuels et les métaphores de manière plus poussée que Warawanai, mais c’est aussi une oeuvre décousue et parfois difficile à regarder. En effet, cette série est plutôt réservée aux fans des livres, ou aux spectateurs du film avec acteurs réels de la même année (2000), et passe complètement outre le premier livre pour adapter très librement les suivants. Si on ajoute en plus une narration non-chronologique, j’ai passé en tant que néophyte le plus clair de mon temps à essayer de comprendre l’intrigue : ce que sont exactement les surhumains artificiels, l’Organisation Towa et le MPLS. En revanche, poursuivre avec l’anime de 2019, adaptation bien plus fidèle des light novels, m’a permis d’apprécier davantage l’arc introductif qui m’a paru du coup très limpide malgré les critiques à son égard le qualifiant ironiquement de beaucoup trop confus.
Mon but n’est pas ici de comparer ces deux oeuvres très distinctes mais ce parcours a façonné une expérience singulière qui explique en partie mon impression favorable. Cela ne veut pas dire que Boogiepop wa Warawanai n’a pas de défauts. Les remarques sur son manque de clarté sont, je pense, justifiées : c’est bien d’ajouter de la complexité à un puzzle pour le rendre plus intriguant, comme lors du dernier arc, mais en ce qui concerne la première histoire, les premiers épisodes ne laissent pas assez de temps pour la mise en place de l’intrigue, saturant trop d’informations en trop peu de temps. Une autre impression plus personnelle est que j’ai trouvé les personnages un peu décevants, assez sous-utilisés (Nagi en particulier) malgré la maturité rafraichissante de l’ensemble du cast. Enfin, ça pourra paraître paradoxal mais même si la série comporte de très bons arcs (Imaginator, Epouvantail), Boogiepop wa Warawanai n’atteint pas tout le potentiel que recèle la franchise.
Il est évident que je souhaite une suite afin de voir Boogiepop évoluer encore plus haut. Cependant, c’est déjà un miracle qu’il soit revenu des abysses à l’occasion de son 20e anniversaire. Cette adaptation m’a en tout cas rendu heureux et cela me fait plaisir de savoir que des light novels sont capables de me captiver autant maintenant que lors de mes débuts dans le monde l’animation japonaise.