Ecran de fumée

Captive est l'adaptation d'une enquête romancée autour d'un fait divers du 19ème siècle dans le Canada colonial à savoir l'assassinat d'un bourgeois et de sa gouvernante par les domestiques de la maison, et notamment la très jeune Grace Marks, personnage qui a été l'objet d'une fascination médiatique.

Le point de vue narratif est assez facile : donner le prétexte d'une expertise psychiatrique pour que la protagoniste développe son histoire et ses souvenirs. Un tantinet monotone, servie par une photo pas très soignée, coincée dans un presque sépia au flou enfumé, avec des décors trop vides et artificiels, assez symptomatiques des productions Netflix récentes (un peu dans l'idée de Le Jeu de la Dame), la série est austère de prime abord.

Le personnage complètement raté du Dr Jordan sous-joué par le monolithique Edward Holcroft n'aide pas à se passionner pour ce schéma de narration. En revanche, Sarah Gadon est splendide, ambivalente et captive son audience. La force de son parcours, comme une lutte effroyable pour la survie dans un environnement social et personnel plus qu'hostile est assez frappante. L'approche très littéraire des dialogues, presque sur-écrits, tranche aussi avec le tout venant Netflix mais participe malheureusement à son aspect hermétique.

Si la restitution du contexte est là, la critique d'une société dominée par une bourgeoisie qui asservie, inhibe et se donne bonne conscience tout en assouvissant son désir de voyeurisme, n'est présente que par intermittence. Un peu timorée sur le caractère révolutionnaire du meurtre du maître, la série n'assume pas vraiment sa portée politique.

Reste le plaisir de se faire manipuler et raconter une histoire par la clé de ce qui reste une énigme. Un miroir de la fascination morbide nous est renvoyé à travers le discours piégeux de Grace, sans que l'on puisse attendre la vérité ni même un positionnement moral tranché. Captive (traduction bizarre du titre original bien plus adapté Alias Grace) a donc, malgré ses défauts, le double-intérêt de narrer l'existence de cette histoire marquante et de nous baigner dans un traquenard vaporeux.