Ce qui choque dans ce documentaire, ce ne sont pas tant les faits, contestés de part et d'autre, et pour lesquels nous n'aurons probablement jamais le mot de la fin.
Ce qui choque, c'est de voir la manière dont les personnalités publiques ont réagi à des accusations hautement sérieuses, dans ces années où Metoo n'existait pas encore en tant que hashtag:
"C'est un charmeur, pourquoi il aurait besoin de faire ça ?"
"C'était quelqu'un de très porté sur les femmes, vous savez"
"Je lui ai dit entre quatre yeux, c'était une connerie, c'est dommage d'avoir fait ça."
Ces commentaires montrent l'étendue de la domination d'une morale masculine sur la sphère sexuelle. Cet homme est suspecté d'avoir commis un viol et on en pense que c'est dommage, une bêtise de sa part, qui va l'empêcher d'accéder au pouvoir. Rien de plus grave moralement.
Ce qui choque hommes et femmes à ce moment-là n'est pas qu'il ait pu commettre un crime, mais qu'il ait pu oublier à ce point sa carrière pour faire une chose aussi bête.
Voilà où en était l'opinion publique à l'époque. Pourtant, lorsqu'on regarde de plus près ce qu'il s'est réellement passé, quand bien même Diallo se serait pliée à cet acte pour de l'argent, il ne s'agit pas moins d'une victime morale: elle aurait vendu son corps, elle qui n'est pas une prostituée, pour les desseins d'autres personnages puissants, ne souhaitant pas se salir les mains eux-mêmes - Sarkozy étant peut-être à la tête de la fomentation.
Cette affaire ne révèle qu'une fois de plus l'utilisation des femmes pour assouvir des besoins de puissance des hommes, et c'est bien le plus triste.
Si l'on en vient à la deuxième plaignante - première chronologiquement - il est tout aussi tragique de constater les commentaires de l'animateur qui la reçoit lors d'un dîner où elle exprime la tentative de viol dont elle a été victime. Je ne souhaite pas le nommer car l'idée n'est pas de lui jeter l'opprobe à lui plus qu'aux autres, en revanche le citer sera suffisant pour montrer comment les hommes (et les femmes) réagissaient à un récit de victime il y a dix ans. Lorsque Tristane Banon explique que DSK fait tout à coup des tentatives de rapprochement dans un cadre professionnel d'interview, la réaction est:
"Quand on te voit c'est vrai qu'on se dit…" [sous-entendu: on se dit qu'on a bien envie de tenter une approche même si tu n'es pas consentente]
Quand elle exprime le moment où il a tout à coup retiré son soutien-gorge, la réaction est:
"Ah j'adore !".
Pourtant la victime ne rit pas à ce moment-là, on peut très bien voir qu'elle n'est pas à l'aise d'exprimer ce moment. Le commentateur a beau ré-expliquer son "j'adore" plus tard, on peut très clairement voir que la compréhension de l'acte en tant que fait répréhensible et criminel n'existe pas dans cette séquence.