Les documentaires Netflix semblent recueillir de plus en plus de suffrages, ce qui est une excellente nouvelle pour le documentaire, un genre essentiel, qui n'a quasiment plus droit de cité dans nos salles obscures. Reste que tout ce que produit Netflix n'est pas digne d'intérêt, manquant souvent singulièrement d'éthique, et se vautrant dans les pièges du sensationalisme le plus putassier.
Trainwreck: Woodstock 99 n'échappe pas à ce (gros) défaut, qui n'est - heureusement - pas suffisant pour noyer l'intérêt du film. Car le sujet de Trainwreck est passionnant, voire même fondamental pour peu qu'on s'intéresse à l'évolution de la société humaine : qu'est-ce qui a pu faire que, dans des conditions relativement similaires (manque d'hygiène, manque de ressources, absence de sécurité et de contrôle, drogues et sexe omniprésents, etc.), le Festival de Woodstock 1969 a été finalement un triomphe de la bienveillance et d'amour, alors que celui de 1999 s'est transformé en apocalypse de violence et de mépris général ?
Trainwreck n'apporte aucune réponse claire et c'est d'ailleurs finalement tout à son honneur. Mais il esquisse même des pistes qui sont grotesques, voire déplaisantes... L'idée que cela soit la violence de la musique (le hard rock de Korn, la fusion de Limp Bizkit ou des RHCP) ainsi que l'irresponsabilité des stars attisant l'incendie, qui soit la cause du naufrage du Festival dans le chaos est inepte, profondément réactionnaire, et confirme une méconaissance totale de ce qu'est la musique et comment elle fonctionne en live (quiconque aura été au Hellfest, par exemple, peut témoigner en toute bonne foi qu'il n'y a aucun rapport entre violence "artistique" de la musique et violence "réelle").
De la même manière, l'incompétence et la flagornerie des organisateurs - Michael Lang en tête - n'ont finalement pas changé entre 1969 et 1999 (revoyez le film génial de Wadleigh sur Woodstock, et vous verrez que Lang n'a pas changé d'un poil) : c'est bel et bien la société qui a changé autour d'eux et qui font que leur approche, un mélange d'idealisme laxiste et de capitalisme sauvage, ne peut plus fonctionner. Bien sûr, ils sont haïssables du fait de leur refus d'assumer la moindre responsabilité face aux évènements (d'ailleurs, personne dans le film n'assume rien, la faute vient toujours des autres), mais ils ne sont pas particulièrement coupables.
Si les images d'émeutes sont saisissantes, Trainwreck manque terriblement d'un regard extérieur, informé, de psychologues ou de sociologues, voire de philosophes, qui réfléchissent et nous aident à réfléchir sur la détérioration du lien social, de la bienveillance mutuelle, du sentiment de communauté au cours des 30 ans séparant 1969 de 1999.
S'il y a quelque chose de rassurant devant le spectacle de cette violence exercée la plupart du temps envers les femmes (combien de viols ? on ne le saura jamais), c'est que le machisme toxique qui explose littéralement dans la majorité des scènes de foule ne serait probablement plus possible en 2022...
Enfin, on l'espère (mais on n'en est pas certains, en fait !). Peut-être même que s'il y avait un Woodstock 2029, trente ans après 1999, ce serait peut-être les morts qu'il faudrait compter à la fin...
[Critique écrite en 2022]