Rarement une série, aussi mini soit-elle, aura aussi bien porté son nom. Clickbait, cet idiome devenu un concept à soi, si on le traduit, ça signifie « appât à clics ». C’est ce qu’on dit d’un titre d’article de presse qui vise à inciter le lecteur à cliquer pour en savoir plus. Souvent, le titre est alors plus intéressant que le contenu final. C’est devenu un sport national, chez les journalistes et ailleurs, un mode de vie, un mode de survie économique pour un tas d’entreprises peu scrupuleuses qui n’hésitent pas trop à s’asseoir sur les règles déontologiques de leur métier.
C’est l’apogée du web, les vieux mastodontes ne savent plus quoi faire pour surnager dans une offre toujours davantage pléthorique. Surtout quand c’est le nombre de pubs affichées qui remplit vos frigos. Alors ils s’adaptent en copiant. Ils abaissent le niveau. Auparavant, un titre donnait une info. Désormais, il est là pour appâter. Et décevoir. C’est France Dimanche et Ici Paris que tous les médias ont repompé ou presque.
Synonyme : pute à clics.
Clickbait, c’est exactement ça. Ça vous présente un pitch alléchant et l’assortit d’une promesse fascinante. Un mec mourra si la vidéo qui l’annonce atteint 5 millions de vues. Sur le principe c’est génial. Même si dans le vrai monde, un truc pareil s’achève en moins de 20 minutes. D’ailleurs, c’est un des premiers problèmes que la série ne résout pas : la conformité des ambitions numériques à la réalité. Mais on y reviendra. La promesse, c’est le découpage. 8 épisodes, chacun présenté depuis le point de vue d’un personnage. Et là aussi, d’ailleurs, ça part vite en cacahuète.
Après un démarrage sur les chapeaux de roue, l’épisode pilote exposant sans temps mort une situation dramatique et une palanquée de personnages, le reste de la mini série ne suit pas.
D’abord parce que, comme dit plus haut, tout le discours sur les réseaux, le voyeurisme, la presse de caniveau, les dangers de l’exposition personnelle en ligne, s’il est martelé sans trop de subtilité au spectateur, les scénaristes s’arrangent pas mal avec la réalité des usages pour les besoins de leurs twists sans fin. C’est-à-dire que dans un monde comme celui-là, personne n’a de mot de passe sur son appareil, tout le monde touche aux téléphones et ordis de tout le monde, il n’y a déjà à la base, pas de secret, pas de vie privée, pas d’empreintes biométriques, pas de reconnaissance faciale, pas d’iPhones. Toutes les technologies sont à géométrie variable selon les besoins. Par exemple, tout le monde peut accéder à une base de données de comptes suspendus d’un site de rencontres. D’ailleurs, tous les comptes suspendus restent en ligne. D’ailleurs, tout le monde a des relations amoureuses fortes purement textuelles… On pourrait faire la liste complète, elle serait longue. En fait, la série entend dénoncer les abus du numérique en les traitant de manière grotesque et caricaturale, ça ne fonctionne pas.
Ensuite parce que le découpage n’est plus tenu dès l’épisode 3. On s’éloigne du personnage central pour suivre ce que font les autres. C’est nécessaire à la compréhension de certains événements mais ça vient foutre l’immersion parterre.
Autre problème de taille : les fausses pistes et la recherche du vrai vilain. Il est commun dans ce type de show de disséminer de fausses pistes un peu partout. Ok. Quand c’est bien fait, on peut s’amuser à chercher qui est l’assassin et à la fin, on voit tous les indices à côté desquels on est passé en se frappant le crâne et en se traitant d’idiot. Dans Clickbait, vous ne pourrez pas trouver. Pas la peine de chercher, vous n’aurez à aucun moment accès aux éléments nécessaires.
En revanche, vous pourrez relever des pistes, pester contre le fait qu’elles ne soient pas traitées séance tenante mais seulement 3 ou 4 épisodes plus tard, par la grâce d’une info tombée du ciel dans les mains d’un autre protagoniste, malgré la mise en scène plutôt efficace qui sert à détourner l’attention de ladite piste. Et puis vous rencontrerez une galaxie de personnages tous plus trépanés les uns que les autres. Entre les mythos, les pervers, les dépressifs, les dégénérés, on n’est pas loin d’un roman français du XXIe siècle.
Au final, c’est la grande faiblesse d’un script qui mise tout sur son organisation en personnages et oublie qu’en dehors de chacun d’eux, tous les autres continuent d’agir. En même temps.
À la fin, le même sentiment que celui qu’on ressent devant un gâchis vous étreint. On vous a émerveillé, dorloté, avant de vous décevoir et de vous trahir. Vous avez été appâtés pour un clic. Bienvenue au club.