Un bon père de famille se retrouve séquestré et filmé en train de s'auto accuser d'avoir harcelé des femmes et même d'en avoir tué une : en ligne sur le Net, la vidéo annonce que lorsque le seuil de 5 millions de vues sera atteint, il sera exécuté. Sa sœur se lance alors de toute ses forces dans une course contre la montre pour le retrouver.
A l'annonce de ce point de départ de la mini série "Clickbait", qui rappelle certains sujets de "Black Mirror", et en l'associant à la signature Netflix qui accompagne la plupart du temps des séries policières récupérant des sujets "dans l'air du temps" et s'avérant finalement déficientes ou même racoleuses, on est en droit d'être sceptique.
Huit épisodes plus tard, on a été conquis par le travail de Tony Ayres et Christian White : voilà un sujet plus original qu'il ne paraît, qui traite des relations virtuelles remplaçant les rencontres "IRL", avec pertinence, sans jugement moral surplombant - ce défaut tellement "babyboomer" -, avec une intégration réaliste (enfin pour ce qu'on en connaît...!) des technologies actuelles dans le déroulement de l'action. Voilà aussi un scénario magnifiquement conçu, qui, sous une fausse allure de thriller à la Harlan Coben (la découverte effarée que quelqu'un qu'on aime et qu'on pense connaître est en fait une autre personne...), retourne finalement comme un gant tous nos préjugés : les surprises s'accumulent jusqu'à la fin, renversant à chaque fois la perception que nous avons de la situation et rebattant les cartes du thriller sans que l'on sente comme si souvent les grosses ficelles de twists manipulateurs. C'est vraiment du beau boulot au niveau de l'écriture, qui nous autorise à mettre au défi les téléspectateurs les plus rompus à ce genre d'exercice de trouver l'explication du drame de la famille Brewer avant la révélation - très subtile finalement - du dernier épisode. La justesse psychologique de cette conclusion, le refus durant toute la mini série d'un manichéisme réducteur font honneur à "Clickbait".
Car, en toute sincérité, ce qui passionne le plus ici, c'est la justesse et la complexité de tous les protagonistes, le refus de leur assigner une simple fonction dans le déroulement millimétré du thriller, de les cantonner aux clichés du genre, en leur permettant de toujours nous surprendre par une réaction, une phrase, un geste inattendus. L'épouse aimante qui laisse sa foi en son mari s'éroder, le flic musulman frustré par le manque de reconnaissance qu'on lui témoigne et qui voit en l'enquête un moyen de s'affirmer, même aux dépens d'une histoire d'amour possible, le fils qui a abandonné le monde réel et va devoir l'affronter... : partout, règne un tragique manque d'amour au sein d'une société dont la richesse et le confort technologique ont sapé les bases des relations humaines.
Et le plus beau personnage de "Clickbait", qui tient finalement la crédibilité du script, est celui de Pia Brewer, incarnée par Zoé Kazan (oui, la petite fille d'Elia Kazan !), actrice au physique et à la personnalité atypiques, véritable pile électrique à la rugosité inhabituelle. Elle mériterait d'être filmée par un vrai réalisateur, qui saurait la regarder, la magnifier, plutôt que par les habituels 'professionnels de la profession" interchangeables qui œuvrent dans la série TV états-unienne.
[Critique écrite en 2021]
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