Il y a sans doute deux types de séries mémorables : celles qui font sauter les codes pour en inventer de nouveaux, et celles qui en jouent et les poussent à fond pour exceller. Sans discuter de si l'un ou l'autre type est plus méritant, ou simplement meilleur, une chose est sûre : le second type est celui qui rencontre le plus large succès. Les séries d'HBO de la période 1998-2005 seront retenues comme ayant bouleversé les codes fictionnels autour du crime et de la police, et pour avoir donné ses lettres de noblesse au personnage de l'antihéros. Mais dans ces catégories, c'est de Breaking Bad que l'on parlera encore dans trente ans.
Community est à la sitcom ce que Breaking Bad est au drame : pas une pionnière comme Louie, mais une virtuose. Son passage à la postérité est bien plus incertain que celui de l'épopée de Walter White, mais si elle venait à devenir culte, ce serait comme la série surdouée qui éleva au rang d'art la parodie, les dialogues supra-luminiques, les auto-références meta à la puissance 10, et la magie d'une belle dynamique de groupe.
Le délire arrive par couches : vers la fin d'une première saison servant surtout à planter les personnages et faire valoir son talent comique, une nouvelle dimension vient pointer le bout de son nez : deux épisodes anodins nous propulsent soudain dans des parodies explosives des films de mafia et d'action. Tout comme les meilleurs épisodes de Bref faisaient passer le contenu d'un épisode de sitcom en deux minutes, ceux-ci déploient l'ampleur épique de films de deux heures en seulement vingt minutes, l'humour en plus : on en ressort ébourrifé.
La boule de neige hors de contrôle poursuit son chemin pendant la saison 2 : avec son sens inouï du fun, le créateur Dan Harmon nous transporte du Far-West à une partie de Donjons et Dragons, en passant par des théories du complot ou encore un Halloween rempli de zombies (et accessoirement de musiques d'Abba).
Et quand vous pensiez que la polyphonie humour/parodie était à son plus virtuose, la saison 3 met en lumière la troisième voix, moins présente jusque là : l'émotion.
Puis malheureusement, les difficultés de la production ont fini par laisser Community tourner en rond, avec trois dernières saisons qui seront plus vite oubliées. Dommage.
Mais je vous mets au défi de regarder le chef-dœuvre que sont les trois premières sans éclater de rire devant leurs blagues à cent à l'heure, rester bouche bée après un épisode plus palpitant qu'un blockbuster, ou verser une larme devant un moment de groupe sincèrement touchant. En ce qui me concerne, l'épisode Remedial Chaos Theory, chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, m'a fait tout ça à la fois, en plus de démontrer l'équilibre parfait entre les sept personnages principaux.
Car c'est aussi la force de Community : en plus d'être extraordinairement drôle, la série a une voix. Parfois celle, cynique de l'ancien avocat Jeff. Parfois celle, énergique et attentionnée, d'Annie. Souvent celle, accro au fun et à la culture pop, de l'inséparable duo Troy et Abed. Et presque toujours celle, quasi-autiste, mais tellement brillante, et avec un fond si chaleureux, d'Abed.
Alors, si ce n'est pas déjà fait, ruez-vous sur la série comique la plus époustouflante de ces quinze dernières années.