Tombstone Blues.
Je dois avoir pas loin de seize ans vu qu'on vient de se manger le tant attendu passage à l'an 2000, je suis affalé devant ma télé à tube 4/3 qui commence à montrer de sérieux signes de fatigue du...
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le 10 oct. 2016
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Vingt ans, l'air de rien…
Eh oui… A la date de rédaction de cette critique cela fait maintenant vingt ans que « Cowboy Bebop » a été diffusé pour la première fois en France.
Et pour ceux qui, comme moi, font partie des spectateurs de la première heure de cette série d’animation, ça fout quand-même un coup petit derrière la tête.
Car l’air de rien, même après vingt ans, je reste encore surpris d’un tel passage-éclair.
Une seule saison. 26 épisodes, ni plus ni moins.
Le succès critique qu’a rencontré cet « anime » aurait très bien pu amener Shin’hichiro Watanabe et les studios « Sunrise » a transiger avec leur plan initial de saison unique mais il n’en fut rien.
Jusqu’au bout – et malgré une déclinaison en film – « Cowboy Bebop » aura su rester fidèle à lui-même.
Il aura su rester une (presque) anomalie.
Anomalie d’abord par sa sophistication visuelle qui dénote clairement par rapport à toutes les autres productions japonaises de l’époque. Le trait est plus recherché. La créativité et la richesse des décors bien plus fouillées et l’animation bien plus travaillée. L’anomalie se ressent jusque dans ce choix habile et sobre des couleurs ainsi que dans la lisibilité et l’équilibre de la réalisation.
Seule ombre au tableau à ce sujet : ces tentatives d’intégration en images de synthèse qui aujourd’hui peuvent faire tâche. Dans ce domaine, les années 1990 sont généralement fort cruelles…
Mais « Cowboy Bebop » n’est pas qu’une anomalie plastique. C’est aussi une anomalie dans la manière de penser son étrange épopée.
26 épisodes qui semblent s’enchainer hasardeusement, sans véritable finalité.
Chacun d’eux rivalise d’ailleurs de futilité en termes d’intrigue – pour ne pas dire de ridicule – si bien qu’il serait facile de ne voir en ce « Cowboy Bebop » qu’un énième « anime » qui se contente simplement d’enchaîner gratuitement les mêmes gimmicks, structures et personnages archétypaux propre à n’importe quelle autre japoniaiserie.
Mais si d’un côté je ne saurais donner totalement tort à ses détracteurs sur l’existence bien réelle de ces clichés et autres scories superflues, de l’autre je ne pourrais m’empêcher néanmoins de regretter que ces mêmes détracteurs n’aient su aller au-delà de ces aspects-là afin de percevoir ce qui fait au fond la spécificité – et l’intérêt – de cette anomalie.
Car arrivé au bout des 26 épisodes une étrange impression se dégage presque inévitablement.
Cette impression qu’un voyage a quand-même eu lieu.
Cette impression qu’on nous a quand-même raconté quelque-chose…
Car que nous raconte « Cow-boy Bebop » ?
Le Bebop c’est un vaisseau… Un vaisseau spatial.
A son bord deux chasseurs de prime (puis trois, puis quatre, voire même cinq si on comptabilise le chien Ein) qui se contentent simplement de parcourir le système solaire de front pionnier en front pionnier, guidés qu’ils sont par le seul besoin de remplir régulièrement leur réfrigérateur et leur réservoir.
Une prime qui tombe et c’est l’occasion de faire un épisode.
Et au sein du Bebop, on n’est clairement pas du genre à faire la fine bouche. On prend tout ce qui passe, quitte à ce que ça n’ait rien à voir avec l’épisode précédent.
Quitte à ce que ça ait l’air même totalement vain…
Le parallèle avec l’Ouest américain est évident.
D’ailleurs il est souvent filé.
Au gré des propositions de l’émission « Big Shot », avec ses deux animateurs déguisés en cow-boys de pacotille, le Bebop se balade de saloons en maisons de passe, de déserts en casinos, faisant parfois même détour par la réserve d'un vieil indien devin perdu sur un des satellites de Jupiter.
Et l’air de rien, c’est à force d’enchaîner les voyages et les allers-retours que, petit-à-petit « Cowboy Bebop » finit par dégager ce qui fait sa singularité. Son charme.
Un univers…
L’univers de « Cowboy Bebop » a ceci d’interpelant que son Ouest américain n’est pas simplement un Ouest transposé dans l’espace.
Non, il interpelle aussi et surtout parce que cet Ouest est d’une incroyable mélancolie.
On n’y voit pas de fiers astronautes flottant dans leurs jolis costumes immaculés, pas plus qu’on ne voie les vaisseaux spatiaux et cités chromés.
La conquête spatiale ici a quelque-chose de désenchantée.
Elle n’est qu’un simple baroud de camionneurs et de brigands qui traversent le système solaire au sein d’autoroutes spatiales étriquées, reliant des cailloux à d’autres stations peu reluisantes.
L’espace est là et pourtant l’aventure est ailleurs.
C’était comme si elle était déjà perdue.
Qu’il n’y avait plus rien à explorer.
Qu’il fallait se contenter d’un simple petit système solaire et de ce qui y a survécu.
Parce qu’en effet, on comprend vite que la conquête de l’espace dans « Comboy Bebop » est un rêve déchu.
Pétri de confiance dans sa grandeur et désireuse de repousser sans cesse plus son horizon, l’humanité a presque tout perdu sur un coup de dé, sur une expérience bêtement foirée pour obtenir quelque-chose dont elle n’avait pas forcément besoin mais qui l’a pourtant privée de son essentiel.
Alors certes, en 2071, l’humanité dispose bien de ses autoroutes spatiales, mais à quel prix ?
L’humanité y est moins nombreuse.
Pas d'extra-terrestres ni de grandes avancées foudroyantes.
Au contraire, la Terre est désormais un drôle de champ de ruines régulièrement mitraillé par des morceaux de Lune qui lui tombe encore dessus.
Mars et Venus ont beau se terraformer progressivement mais la première ne se limite encore qu’à quelques cratères humanisés pendant que la seconde n'est respirable qu'au risque de sales maladies qui peuvent vous rendre aveugles.
Ne restent après ça que quelques cailloux en orbite autour de Jupiter et de Saturne où il ne fait pas forcément mieux vivre.
Ainsi l’Ouest de « Cowboy Bebop » est-il une sorte de pays des désolés ; un horizon trompeur ; un futur qui nous a quelque peu menti, quand bien même ne nous avait-il rien promis.
La conquête est un fruit pourri mais dont tout le monde a fini par s’habituer au goût.
Désormais tout le monde, pour ce qu’il en reste, semble s’être rompu à cette réalité là.
Que voulez-vous… ‘Faut bien vivre avec son temps n’est-ce pas ma p’tite dame ?
L'univers de « Cowboy Bebop », c'est un petit peu la Ruée vers l'Or mais sans l'or.
Les seuls espoirs de richesse sont ceux des grands cartels tels ces Dragons Rouges, ou bien encore ceux de ces groupuscules douteux qui profitent du chaos généralisé qu’il s’agisse de terroristes défenseurs des animaux ou bien encore de gourous de chambre d’hôpital.
Pas de valeur, pas d'idéal.
Les conquérants de l'Ouest sont des vieux routiers, des voleurs de quat'sous ou bien des cow-boys aux poches trouées, et ils parcourent l'espace en va et en vient pour de banales rétributions pécuniaires.
C’est amer, c’est vrai.
Et pourtant, étonnamment, à la longue, c’est beau.
Plus surprenant encore, ç’en deviendrait presque réjouissant.
Car quand bien même ne s’y passerait-il pas grand-chose dans ces 26 épisodes, une peinture finit néanmoins par être esquissée à chaque touche apposée.
De Vénus à Ganymède, de Mars à la ceinture d’astéroïde, chaque allers-retours nous permet d’apercevoir que progressivement, de la fragmentation a su surgir une nouvelle composition.
Une composition bordélique, certes.
Des vieux farmers de saloon côtoient des yakusas, une Constantinople de Vénus siège au milieu de nuages verts flottants. Un caisson de cryogénisation peut amener à partir à la recherche d’un vieux magnétoscope de cassettes beta. Et même à un moment donné, un élégant Swordfish peut soudainement se retrouvé secouru par une vieille navette Discovery.
Périodes, cultures, musiques. Tout se percute dans ce joyeux bazar des plus foutraques.
Tout le monde cohabite avec tout le monde, et qu'importent les mélanges surprenants.
Ces mélanges improbables et impensables se retrouvent jusque dans la bande-son : jazz, heavy metal, blues, tout y passe. Chaque épisode est même nommé selon ces genres éclectiques qui, pense-t-on, ne peuvent cohabiter.
Et pourtant la cohabitation se fait, aussi improbable soit-elle car tel est l’univers dans lequel évolue le Bebop. Un jazz peut très bien accompagner une bagarre de rues, un blues peut très bien appuyer une bataille dantesque entre vaisseaux spatiaux…
Dans « Cowboy Bebop », tout finit par trouver sa cohérence tant l’identité même de ce monde – et sa beauté – repose sur une sorte de melting-pot improvisé mais pas forcément malheureux.
Car en fin de compte, de tout ce joli petit bordel se dégage une noblesse.
La noblesse d’un certain imprévu ; celle des constructions hasardeuses et collectives.
Au gré des épisodes, une culture finit par s’imposer d’elle-même – bien réelle – et qui n’est pas celle pensée par les grands scientifiques et visionnaires, mais plutôt celle forgée par les quotidiens fragmentés des culs-terreux de l'espace.
Rien n'a été pensé, et pourtant tout ce joli petit ensemble finit par trouver sa petite harmonie, son élégance.
Au fond là où les grands de ce monde ont détruit à vouloir ordonner, ce sont finalement les petites gens qui, par leurs simples interactions pétries de besoins et de plaisirs humbles, parviennent à se faire une vraie force de création ; une vraie proposition de beauté dans le bazar.
D'ailleurs ne serait-ce pas là l’essence-même de ce genre musical qu’on appelle le « Bebop » justement ?
Du jazz libre, qu’on joue sans vraiment l’avoir écrit.
Une mélodie qu’on suit au fil de l’inspiration du moment…
Car, après tout, n’est-ce pas là la meilleure manière de faire de la musique ?
Errer dans l’espace et aller là où semble vouloir nous conduire les choses…
Voilà qui semble finalement bien plus riche et prolifique que de vouloir plier l’harmonie de l’univers à des règles et fantasmes qui n’amènent qu’à briser la Lune en deux…
Pour avoir réussi à distiller ça, d’épisode en épisode, je suis franchement reconnaissant à « Cowboy Bebop ».
Alors certes, pour profiter de tout ça il faudra accepter en contrepartie d’avaler quelques conventions de l’époque et du genre, comme par exemple quelques phrases de philosophie vaseuse, un Vicious plus-méchant-de-manga-que-ça-tu-meurs et surtout une Faye inconsistante qui n’est là que pour afficher ses gros nibards. C’est vrai…
Mais bon, pour qui saura passer outre tout cela, c’est la possibilité d’un univers nouveau qui s’offre à vous. Et l’air de rien, même vingt ans plus tard, je n’ai toujours rien trouvé d’équivalent ailleurs ; même pas quelque-chose s’en rapprochant…
Alors oui, parce qu’il est unique, « Cowboy Bebop » occupe chez moi une place précieuse dans mon cœur.
Sans nier ses limites, force m’est de reconnaître ce qui en fait sa force.
Et l’air de rien, parce qu’il est justement unique, il n’est pas rare que je me renfile l’intégrale.
C’est vite fait. C’est de la prise directe.
C’est efficace.
J’aime cet aspect éphémère, bancal, fragile dans cette série.
Au fond c’est ainsi qu’elle incarne au mieux ce qu’elle entend dire, ce qu’elle entend montrer, ce qu’elle entend faire ressentir.
Une telle cohérence d’ensemble, tout ça au service de quelque-chose d’aussi singulier, j’avoue, encore aujourd’hui ça me laisse pantois.
D’ailleurs je ne vais pas vous mentir. Si je ne retourne pas à nouveau vers ce « Cowboy Bebop » juste après vous avoir écrit cette critique, c’est uniquement parce que j’y suis déjà retourné récemment.
Le dernier passage est encore trop frais. L’idée est encore trop claire.
Mais je sais que sous peu j’y retournerai.
Je sais que, bientôt, tel un vieux farmer assis à sa table en train de jouer avec ses amis, je me régalerai de voir passer à nouveau ces aventuriers modestes…
Ces aventuriers de l’éphémère…
Alors en attendant ce moment-là moi il n’y a qu’une seule chose que j’aurais envie de dire. C’est… « see you later, space cowboy… »
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Créée
le 16 juin 2020
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