Cowboy Bebop
4.8
Cowboy Bebop

Série Netflix (2021)

Précisons avant toute chose que ma note sur l'anime est un 9+coup de cœur. Pourquoi pas un 10 ? C'est justement une bonne question pour entamer cette critique. Mon appréciation personnelle du Cowboy Bebop d'origine doit bien plus à son éclectisme foutraque qu'au substrat dramatique plus premier degré qui fait aussi partie du récit. En d'autres termes, je suis assez peu sensible à une rose chutant en slo-mo dans une flaque d'eau et à un gonze faisant peu ou prou la même chose à travers la rosace d'une cathédrale, mais je plussoie Jet en tablier, la gamine avec un prénom de vampire de Twilight et l'épisode sur la moisissure mutante (nous y reviendrons). Pour le reste, je pense faire partie de ceux qui reconnaissent volontiers les limites de l'anime. Certes, il aura marqué les esprits au-delà de son époque mais quand on vient me chanter les louanges du développement de personnage, je hausse un sourcil circonspect. Car il s'agit précisément de cela. Je pense notamment à la sexualité du personnage de Faye, dont le scénario semblait ne savoir que faire (on lui prépare presque une idylle avec Spike à la fin de l'épisode où elle apparait, puis ils se détestent, puis ils deviennent finalement potes , puis on suggère que c'est un peu la meuf de Jet même s'il n'y a jamais rien eu entre eux) et à la sous-intrigue (si tant est que l'objectif soit qu'elle serve d'arrière-plan) avec Julia et l'ancien gang de Spike, qui se dilue inégalement avant une fin que je juge personnellement un peu abrupte en dépit de son intensité tragique.

Néanmoins, lorsque Netflix avait annoncé il y a quelque temps déjà qu'un remake live du Bebop était en préparation, j'avais levé non pas un, mais deux sourcils fort circonspects, tant il me semblait qu'il n'y avait aucune bonne façon de gérer l'atterrissage d'un projet pareil. Les deux possibilités que j'avais en tête étaient les suivantes :
A/ On adapte l'anime plan par plan (comme par exemple ce que Snyder avait cherché à faire avec la scène d'ouverture de son Watchmen), quitte à perdre de vue ce qui fait la subtilité du propos narratif (comme Snyder dans Watchmen, donc) pour un résultat sans grand intérêt puisqu'il ne développe pas son propre langage. Dans le pire des cas, on se retrouve avec une coquille de nostalgie cynique qui surfe sur le souvenir de l'original face auquel elle n'a pas de raison d'exister (Remakes live Disney, c'est à vous que je m'adresse).
B/ On distille la substantifique moelle de l'anime dans une œuvre dont le parti pris serait clairement en phase avec le choix d'images live, quitte à radicalement s'éloigner de l'ambiance de l'original, à refuser le fan service et à tenter du nouveau avec l'histoire. C'est déstabilisant mais ça a le mérite de proposer quelque chose de différent. Il faut juste persévérer pour arriver s'y faire (Je ne l'ai pas encore vue mais c'est comme ça qu'on m'a décrit la série Watchmen de HBO).

Soyons clairs : le choix de la réponse importait peu, puisqu'internet allait de toute façon hurler à la mort en se flagellant avec des orties pour exorciser l'expérience. Je restais cependant curieux d'expertiser le produit fini. C'est maintenant chose faite.

Et... il a un peu le cul planté entre les deux chaises que je viens de décrire.
Pour commencer sur une note positive, je ne suis pas de ceux qui trouvent le production design si laid que ça. Le budget limité (en tout cas pour ce niveau d'ambition) est régulièrement visible sur les scènes de VFX (les arbres de l'épisode 4 ont particulièrement rayé ma rétine) et certains décors peuvent frustrer (les scènes d'entrepôts de l'épisode 7, okay, c'est assez moche), mais les costumes sont plutôt réussis et les éclairages sont régulièrement élégants, en tout cas au regard de ce qui se fait actuellement sur la plateforme (allez donc voir la série live des Winx, vous verrez très bien ce que je veux dire). Ma réticence personnelle concerne la direction de l'adaptation. Dès le premier épisode, on retrouve des repères évidents (Spike et sa veste bleue asymétrique, Jet et son bras, le Bebop blablabla), tout en constatant à quel point leur mise en pratique passe par une intention narrative et stylistique qui semble avoir pour vocation de se suffire à elle-même. Je m'explique. Là où l'anime compensait une écriture inégale en proposant des détours qui, s'ils n'avaient que peu d'intérêt narratif, poussaient les potards stylistiques vers de nouveaux horizons, l'adaptation de Netflix semble strictement mue par sa vocation de série policière bien huilée. Je ne formule pas cela comme un reproche, mais plutôt comme un constat de ce qui me parait une différence fondamentale entre les deux incarnations de la série. L'anime était fourre-tout, bordélique et assumait ses errances narratives en les compensant avec des délires esthétiques, stylistiques et musicaux qui ont grandement contribué à faire évoluer le format de l'anime en fricassant les codes du genre. Je mets quiconque au défi de trouver une vraie pertinence scénaristique à l'épisode sur la moisissure mutante. En revanche, le détour par l'épouvante et le fantastique le temps d'un épisode est indéniablement kiffant.

La série Netflix, quant à elle, est un polar décent, correctement rythmé dans l'ensemble, relativement bien interprété (j'y viens) et faisant la part belle à l'étoffement de personnages qui pâtissaient parfois de l'écriture en dents de scie de l'original. Or, c'est là que la distinction devient intéressante. Je passerai rapidement sur la réalisation, qui reste globalement dans la moyenne des séries actuelles. Les passages d'actions sont correctement mis en scène et la photographie est parfois soignée. Pour autant, ne cherchez pas de bifurcations stylistiques comme vous pouviez les aimer dans l'anime. A l'exception d'une petite percée horrifique pour l'épisode du clown tueur (rendu ici très anecdotique) et d'un gimmick de réalité virtuelle dans l'épisode 6, la série est fermement ancrée du côté du polar sériel. On peut le critiquer, mais il s'agit bel et bien d'un choix d'adaptation. Ce qui m'interpelle, en revanche, ce sont les personnages. Vicious, notamment, est bien plus généreusement écrit que dans l'anime où il constituait cet archétype de méchant cheveux longs + katana + oiseau sur l'épaule qu'il vaut mieux en général ne pas trop questionner. Il existe, il est méchant, on ne pose pas plus de questions car l'anime nous avait aussi habitué à son lot de clichés moins aboutis. Encore une fois, la diversité stylistique des épisodes compensait très largement des zones de floues qui avaient d'ailleurs leur intérêt. Etant personnellement un fan transi de David Lynch, entre autres, je suis le premier à préférer une histoire qui opère par la sensation plutôt qu'en cherchant à tout systématiquement expliquer par une narration détaillée. Ceci étant dit, tout dépend du genre d'œuvre auquel on a affaire. On aura plus de facilité à étriller Christopher Nolan sur le scénario, là où on ne fera probablement pas ce reproche à Kenneth Anger, par exemple, parce que le premier opère dans un genre qui repose sur l'écriture complexe tandis que le second privilégie un langage plastique. Or, chez Netflix, dans le contexte d'une série policière, un genre essentiellement basé sur des rouages scénaristiques, il était évidemment difficile de sous-écrire le méchant principal comme l'anime pouvait se le permettre. La série consacre donc plusieurs épisodes à développer les enjeux du personnage. J'ai beau trouver que les motivations qui lui sont attribuées sont crédibles dans le contexte du récit, cela renforce également la sensation de regarder une toute autre série qui n'aurait de Bebop que le nom. De la même manière, Jet est ici père d'une petite fille, élément qui finit bien sûr par peser dans les enjeux du dernier épisode. Je ne peux m'empêcher de me dire que cet ajout est en partie motivé par l'âge des interprètes, car John Cho a quatre ans de plus que Mustapha Shakir, là où le Spike de l'anime avait quasiment l'âge d'être le fils de Jet. Avec deux acteurs du même âge, le fait de donner une vie de famille plus rangée à Jet est effectivement un moyen judicieux de conférer aux deux personnages des modes de pensée radicalement différents. Ainsi, le secret sur le passé de Spike (dans l'anime, Jet avait l'air de s'en taper un peu) a lui aussi plus de sens dans un cop show qui voit un ex-truand faire équipe avec un ex-flic. La complémentarité est d'ailleurs intéressante dans la mesure où Jet est un flic dont la véhémence a fini par causer sa perte, tandis que Spike est un gangster miraculeusement rescapé par son sens moral. Deux expériences différentes de la vie et de la violence, donc, rien de nouveau, mais tout se prête assez bien à un polar fonctionnel. Cho se révèle un choix intéressant pour le rôle de Spike, apportant ce capital sympathie qu'on lui connait et Mustapha Shakir incarne un Jet qui gagne en profondeur à mesure que les épisodes défilent. Je regrette que Faye soit passée d'escroc de casino à chasseuse de prime concurrente. J'aurais aimé me dire que tous ces gens n'avaient pas forcément la même vocation professionnelle (même s'il est tout à fait recevable qu'ils soient poussés vers le même choix pour des raisons totalement différentes), mais cela permet effectivement de faire entrer le personnage dans le récit dès le premier épisode, l'intérêt pratique se vérifiant une fois de plus. Pour le reste, elle est sans doute le personnage le moins avantagé par l'écriture de cette adaptation, sa trajectoire restant plutôt confuse. Vicious est convenablement surjoué (sérieusement, revoyez l'anime, il a toujours fait cette tête-là) et même s'il ressort fréquemment quelque chose de très cartoonesque de l'interprétation, je suppose que c'était inévitable. Encore une fois, les ajouts d'écriture autour du personnage me paraissent plutôt concluants... dans le contexte d'un polar à scénario. Le souci est plutôt dans les problèmes de rythme qui en découlent. La série va et vient entre différents arcs narratifs qui se mélangent mal et donnent l'impression de se mettre mutuellement en standby pour permettre au scénario d'ensemble de progresser. La sous-intrigue du corgi est certes sous-développée mais elle est suggérée et j'ai espoir qu'elle soit prévue pour une seconde saison... s'il y a lieu ? C'est d'ailleurs une de mes curiosités à l'issue du visionnage, car les dix épisodes couvrent à peu près l'entièreté de l'arc dramatique de l'anime. Pourtant, les personnages sont laissés dans des situations bien plus floues (ce qui ne me dérange pas outre mesure, puisque la fin est un des éléments de l'anime auquel je suis le moins attaché) et une tête essentielle fait irruption à la fin du dernier épisode. S'il s'agit d'une façon de teaser une deuxième saison, je serais curieux de voir ce qu'elle pourrait proposer en étant cette fois écrite à base d'un matériau plus émancipé de l'anime. On ne peut que souhaiter que la série live retienne la leçon de cette première fournée et finisse par trouver sa propre voie avec sa propre voix.

Au final, la plus grosse prise de risque de ce Bebop Netflix est sûrement de n'en prendre aucun. Clairement, on peut difficilement reprocher aux personnes impliquées de n'avoir pas aimé ou compris l'anime, seulement d'avoir choisi un angle d'adaptation et un format qui échouent à retransmettre l'étendue de ce que l'œuvre d'origine pouvait proposer, de façon certes bancale, mais avec une gloutonnerie stylistique qui fait trop souvent défaut à cette nouvelle production. Le résultat final est à l'image de la musique de Yoko Kanno. On pourrait être aux anges de retrouver son nom au générique si la partition qu'elle proposait n'était pas aussi peu marquante en comparaison aux plages musicales de l'anime. Comme si, à l'image d'un scénario qui perd en éclectisme ce qu'il consolide en enjeux dramatiques, Kanno avait gommé les aspérités rock et blues de son répertoire pour recentrer l'ambiance vers un jazz-pop classieux qui colle à l'image sans jamais pour autant faire irruption au premier plan. En lieu de patchwork délirant, on découvre une étoffe sans tâche qui finit par évoquer le latex d'une paire de gants stérilisés. C'est propret, respectable et conçu avec soin, mais le grain de folie a foutu le camp et les codes sont respectés là où on aurait aimé les voir voler en éclat.
Un point pour l'effort, car cela aura convaincu mon entourage de s'intéresser à l'anime. C'est toujours ça de pris.
SEE YOU NETFLIX COWBOY?addendum => du coup non, Netflix a décidé de ne pas poursuivre l'aventure. Oké salut.

OrpheusJay
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le 12 sept. 2022

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Orpheus Jay

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