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Le dessus et le dessous
Dans l’univers uchronique de « Fallout », la Guerre Froide opposant les États-Unis à l’Union Soviétique a pris une tournure particulièrement critique. A ce stade de tension, personne ne se fait réellement d’illusions : la guerre nucléaire est aux portes d’une humanité qui attend l’inexorable avec résignation. Devant la perspective de la catastrophe imminente, la société Vault-Tec a pris les devants en investissant dans la construction d’abris souterrains susceptibles d’accueillir quelques uns des plus fortunés habitants du pays. 200 ans après que la planète a été dévastée, les habitants de l’abri 33 coulent ainsi des jours paisibles en attendant de pouvoir un jour repeupler la surface du globe au moyen de leur bonne éducation et d’un civisme désarmant de naïveté. Car au-dessus de leurs têtes règne un chaos et une violence dont ils ne mesurent pas l’ampleur. Chacun lutte avec les moyens du bord pour sa survie dans un monde où la bienséance n’a pas sa place.Loin de cette âpre réalité, l’heure est à la fête puisqu’en ce jour, il est convenu que Lucy, la fille d’Hank MacLean, le gérant de l’abri 33, se marie avec un homme du refuge voisin. Or, après le traditionnel cérémonial, les invités commencent à décimer leurs hôtes, incapables de se prémunir contre de tels actes de barbarie. Les auteurs de ce massacre concluent leur œuvre en emportant Hank à la surface d’où ils étaient en réalité issus. De fait, Lucy se décide à aller chercher son père, quels que soient les risques encourus. Cette décision, certes louable mais relativement inconsidérée, l’amènera à rencontrer des individus pas toujours enclins à lui faire bon accueil. Si Maximus, un brave écuyer de la puissante Confrérie de l’Acier, n’a clairement pas de velléités agressives à son égard, il n’en est pas de même de « la Goule ». A l’explosion de la première bombe, Conrad Cooper animait un anniversaire en compagnie de sa fille dans la banlieue huppée de Los Angeles. Cet acteur célèbre s’était fait connaître de ses concitoyens en interprétant dans de nombreux westerns un personnage iconique se déjouant inlassablement de la menace Rouge. Le voilà maintenant sous les traits d’un mort-vivant chasseur de primes en quête d’un homme s’étant injecté une mystérieuse puce sous la peau. Or, il se trouve que Maximus et son maître, le chevalier Titus, ont reçu l’ordre de mettre la main sur ce même fuyard à priori inoffensif.
Pas très clair tout ça
Le défi de porter à l’écran l’univers du jeu vidéo dans lequel l’histoire inédite de « Fallout »se situe s’avérait ardu tant celui-ci est foisonnant et complexe. Pour cette raison, il semblait opportun de dresser un tableau des forces en présence et de nous présenter leurs singularités, ce qui n’est malheureusement pas le cas. A titre d’exemple, si on en est à deviner les raisons qui font que certains prennent l’apparence de morts vivants, on s’étonne qu’au moment de renaître de ses cendres, « la Goule » se trouve six pieds sous terre, reliée à des cathéters. Quant à savoir comment il est possible que 200 ans après la fin du monde certains personnages soient encore en vie, cela relève du mystère le plus total. Par ailleurs, pour se faire une idée du rôle dévolu à la Confrérie de l’Acier en ces temps chaotiques, il faudra vous renseigner sur la toile. Ce faisant, les auteurs semblent avoir pris le parti dommageable de trop vite entrer dans le vif du sujet sans prendre le temps de nous apporter tous les éléments nécessaires à la bonne compréhension de son intrigue. Heureusement, en contrepartie de ces faiblesses descriptives impactant la narration, le spectateur peut compter sur les qualités visuelles de la série pour s’imprégner de ses atmosphères hétéroclites.
Drôles d’ambiances
D’un côté, on évolue dans le climat confiné et policé de l’abri 33 où hommes et femmes déambulent dans leur combinaison jaune et bleue en s’adressant des sourires forcés mais empreints d’une courtoisie sincère. De l’autre, le vent balaie les grands espaces en ruines du monde d’en haut où sable et poussière recouvrent les peaux tannées de ceux qui tentent de survivre à ces conditions misérables. Dans un cadre où la loi du plus fort prévaut, il se dégage un arrière-goût plaisant de western que la présence de « la Goule », ce pistolero sans scrupules, vient naturellement renforcer. Le cynisme et la cruauté dont celui-ci fait preuve, ainsi que le cadre dans lequel il sévit, n’est pas sans rappeler les plus belles heures du western spaghetti de Sergio Leone. En lieu et place de Clint Eastwood dans le rôle du mystérieux homme solitaire œuvrant pour son propre compte, Walton Goggins interprète avec sa maestria habituelle une « Goule » à l’assurance charismatique qui contribue largement à la qualité de la série. Mais quand il s’agit de rendre compte de la trajectoire de Conrad Cooper, cet immense acteur délaisse sa diction gouailleuse délectable pour camper un citoyen ordinaire de l’Amérique des années 50 qui voit le doute s’installer dans son esprit au fur et à mesure qu’il réalise l’impact de la compagnie Vault-Tec sur l’état du monde. Sur ce plan, l’intrigue de « Fallout »nous rappelle que pour qu’un antidote soit lucratif, il faut créer les conditions de son utilisation quitte à favoriser la propagation de la maladie. En cela, elle n’hésite pas à dénoncer le machiavélisme d’une logique capitaliste qui n’exclut pas de plonger le monde dans le chaos pour peu que cela génère du profit, qu’il soit financier ou politique.
Pourquoi tant de violence ?
Ce discours « engagé », « Fallout » l’englobe harmonieusement dans une histoire qui n’a pas la prétention autre que celle de divertir, ce qui est tout à son honneur. Et pour se faire, elle mise sur un jeu de contrastes plus ou moins habile afin d’y puiser une tonalité propre. En effet, face à la candeur de Lucy et à la gaucherie de Maximus, la série leur oppose une violence que l’on peut parfois questionner. Certes, quand elle intervient dans le cadre de l’abri 33, celle-ci se trouve rehaussée par l’impuissance et l’incrédulité de ses résidents, ce qui lui procure un éclairage intéressant. Les inoffensives chansons des années 50 qui accompagnent cette scène et procèdent de la même volonté esthétique participent de ce décalage même si l’utilisation répétée de cet unique répertoire musical finit par lasser. Quand par la suite, les têtes et les viscères ne cessent d’exploser, on peut trouver cela jubilatoire mais il est également permis de soulever la gratuité de cet excès de zèle. On pense alors à « The boys » qui se plaît à faire étalage d’une profusion d’hémoglobine assez similaire. Mais non seulement celle-ci a pour fonction de porter délibérément préjudice à la probité des super-héros et de leurs actes mais elle tend elle aussi à perdre de son intérêt au fil des épisodes. Ici, on comprend qu’elle se veuille fidèle à l’esprit du jeu, mais se dispenser de certaines images n’aurait en rien altéré l’idée que l’on se fait de ce monde d’où transparaissent naturellement la barbarie et le chacun pour soi. De là à imaginer que la violence est ici plus une composante mercantile que stylistique, il y a un pas que l’on aurait aimé ne pas franchir.
Une cohérence narrative appréciable
Heureusement, les différents arcs narratifs se voient prendre des visages tout à fait stimulants au fur et à mesure de l’avancée du récit. Parce qu’il nous paraît évident que la vie paisible de l’abri 33 recèle sa part de mystères, on a plaisir à suivre les investigations du frère de Lucy, le seul à prendre en compte les zones d’ombre qui régissent un écosystème visiblement gangrené de l’intérieur. Et si les motivations de « la Goule » ne nous sont d’abord pas accessibles, la réalité qui apparaît à nos yeux ainsi qu’à ceux de Cooper du temps où il était acteur et faisait de la publicité pour la société Vault-Tec apportent au personnage le crédit dont il a besoin. Bien sûr, les auteurs ont pris soin de nous faire part de ses découvertes au compte-goutte, ne dévoilant la véritable nature de ses desseins qu’en toute fin de saison. De leur côté enfin, Lucy et de Maximus mènent leur quête parsemée d’embûches avec une maladresse parfois burlesque. Pas toujours à leur aise dès lors qu’ils évoluent dans des mondes qui leur sont étrangers, ils apportent à cette histoire une naïveté bienvenue au milieu d’un océan de violence et de désolation. On regrette cependant que leur incartade dans un abri peuplé d’humains mutants n’apporte que peu de grain à moudre à une intrigue qui n’aurait que peu souffert de son absence. Au final, on obtient une production plaisante. Narrativement aboutie malgré une exposition bancale de son monde, elle souffre toutefois d’un excès de violence à laquelle « The last of us », autre histoire post-apocalyptique d’une envergure bien supérieure, avait su intelligemment se soustraire. Il n’en reste pas moins que les univers variés qui composent « Fallout » demeurent intrigants et qu’à défaut d’impatience, le devenir de Lucy, de Maximus et surtout de cette « Goule » magnifiquement incarnée par Walton Goggins est loin de nous laisser indifférent !
Disponible sur Amazon Prime