Saison 1 : "Fringe" commence plutôt mal : après un pilot "coup de poing" comme J. J. Abrams a toujours su nous en concocter, "Fringe" accumule les épisodes répétitifs et peu inspirés… jusqu'à ce que la série trouve son rythme et son sujet, quelque part entre "Alias" (prophétie, organisations secrètes et cellule "anti-terroristes") et "Lost" (univers parallèles et brouillage des repères entre "bons" et "méchants"). Comme dans "Alias" et "Lost", on se retrouve captivés, mais c'est certainement autant par les personnages ambigus, complexes, troublés qui sont la marque des bonnes séries modernes que par les scénarios labyrinthiques dont J. J. a le secret (… et dont on sait fort bien désormais qu'ils ne connaîtront aucune résolution satisfaisante !). Notons aussi que les scénaristes de "Fringe" ont été largement puiser leur inspiration chez le Cronenberg des débuts, et qu'une fois encore, on peut faire un parallèle entre le sujet de "Fringe" et le thème de "20th Century Boys". Coïncidences ?
Saison 2 : La seconde saison de "Fringe" voit l'équipe de J.J. Abrams réaliser un quasi-sans faute, et élever la série pas si loin que cela du niveau de "Lost" : oh bien sûr, il reste encore beaucoup trop d'épisodes "accessoires" décrivant des enquêtes de la brigade sans rapport avec le thème principal de la série, sans parler d'un épisode littéralement atroce en forme de parodie "noire". Et puis on pourra encore et toujours critiquer le manque de cohérence, voire même de simple logique dans l'écheveau de situations que déroule le scénario : inutile donc de s'attendre à une résolution finale satisfaisante... Comme dans "Lost" et "Alias", le plaisir vient plus de l'effet constant de sidération devant l'imagination délirante des scénaristes que du plaisir logique d'une construction rationnelle ! Et puis, il faut souligner la force du trio central de personnages, particulièrement attachants dans leurs rapports complexes et tourmentés, la palme revenant à John Noble pour son interprétation touchante, voire même régulièrement bouleversante d'un scientifique monstrueux et infantile.
Saison 3 : … Ou comment détruire totalement la crédibilité d'une série malgré une troisième saison très réussie ? Les scénaristes de J.J. Abrams en font la démonstration avec l'épisode final, qui, à la manière de "Lost", veut introduire un nouveau niveau de complexité dans la narration (le futur en plus des deux mondes parallèles…) mais débouche sur une "surprise" tellement énorme qu'elle en devient totalement ridicule… Et c'est dommage, car jusque là, le jeu entre les deux univers qui s'affrontent avait donné certains des meilleurs épisodes de la série à date, sans même mentionner que l'idée de nous faire suivre les enquêtes de la Brigade Fringe dans le monde alternatif s'est révélée particulièrement excitante. Le dédoublement des personnages principaux et les interactions multiples entre leurs deux versions a également permis de travailler des situations émotionnelles réellement riches (jalousie, nostalgie, toute une nouvelle palette d'émotions peu habituelles dans une série Sci Fi). Il faut mentionner aussi le très bel épisode de poursuite à l'intérieur d'un "monde sous effet LSD", avec son motion capture qui rappelle le travail effectué il y a quelques années dans "A Scanner Darkly". Bref, tout serait au mieux dans le meilleur des (doubles) mondes s'il n'y avait ce triste plantage scénaristique final !
Saison 4 : Après la conclusion assez frustrante de l'intrigue développée sur les trois premières saisons de "Fringe", les scénaristes ont eu l'idée très courageuse - ou très stupide ? - d'un "reboot" plus ou moins complet de la série : élimination d'un personnage-clé, développement de l'histoire dans un nouveau "flux temporel", etc. Le problème est que le résultat est ennuyeux au possible, sans doute parce que, en tant que spectateur fidèle à cette série de SF "intelligente", on est en droit de se demander à quoi bon faire l'effort de tout recommencer - ce fameux investissement émotionnel d'identification et de complicité qui nous lie à un feuilleton - pour si peu... Bref, on décroche peu à peu, comme si on avait affaire à des clones sans âmes de nos personnages favoris... Bien entendu, les scénaristes, devant la débâcle des niveaux d'audience, tentent de rattraper le coup, mais le mal est fait, malgré un "retour à la normale" forcément tiré par les cheveux, et malgré quelques épisodes réussis en milieu de saison (le très StephenKingien "Welcome to Westfield", le sentimental "A Short Story About Love"...). La conclusion de l'intrigue - qui se boucle à la fin de la saison - est particulièrement incohérente, frisant le ridicule : comme toujours chez JJ Abrams, bien des fils narratifs, bien des pistes sont laissés en suspens, les scénaristes pariant visiblement sur le manque de mémoire - ou de logique - du téléspectateur lambda. Avec cette 4ème saison très faible, "Fringe" a définitivement perdu toute crédibilité, en dépit d'efforts désespérés pour retrouver un peu d'alchimie au sein du trio central. Pas certain du tout qu'on aille se risquer dans le futur avec eux pour la 5ème et dernière saison, l'an prochain...
Saison 5 : On a beaucoup aimé "Fringe", en particulier au fil de la seconde et de la troisième saison, qui offraient une SciFi intelligente, provocatrice, pour tout dire assez rare à la télévision. Et puis les scénaristes se sont cru obligés de procéder à des "resets" de la fiction, en développant une théorie fumeuse de fils temporels distincts (méthode qui nous avait déjà valu la fin catastrophique de "Lost", mais il semble que JJ Abrams n'apprenne pas de ses erreurs), et la saison 4 avait été une déception irrémédiable. Il était clairement temps d'en finir, et c'est donc fait avec cette sorte de saison abrégée qui projette nos héros dans un futur d'occupation et de résistance, non sans une ellipse frustrante (l'invasion elle-même des observateurs et la préparation du "plan" fumeux de Walter et Donald (qui ?) faisant l'objet de quelques flashbacks et de révélations au compte-gouttes via des cassettes VHS...), et les soumet à une dernière aventure, à peu près aussi incohérente que d'habitude. Il y a dans cette saison 5 des épisodes d'une telle pauvreté qu'il faut faire un effort surhumain pour poursuivre, mais, heureusement, il y a aussi une dernière partie qui relève le niveau général, avec la réapparition du très beau personnage de September, et plusieurs scènes vraiment émouvantes entre Walter et Peter, et Walter et Astrid : c'est donc - paradoxalement - dans le domaine des émotions que "Fringe" gagne in extremis son pari de nous laisser un bon souvenir.