Certaines séries ont la malchance de venir après des œuvres qui ont marqué l'Histoire de la télévision d'une pierre blanche. Leurs qualités ont beau être reconnu et leur popularité de plus en plus grandissante, l'ombre de leurs aînés est toujours présente. Ainsi, lorsque la chaîne Fox lance Fringe en 2008, nombreux sont ceux qui n'ont pas manqué de la comparer à X-Files, et de n'y voir qu'une copie à la sauce Lost, en raison de son producteur J.J. Abrams. Si, à ses débuts, la comparaison ne penchait pas en sa faveur, la série parvient à se singulariser au point de trouver son public, le comble étant que l'on peut même la préférer à son modèle.
Ainsi, tous les amateurs de séries télés vous le diront, certaines productions ont laissé une empreinte si grande qu'elles ont imprégné l'ADN des séries actuelles. De cette manière, difficile de parler de Fringe sans évoquer X-Files de Chris Carter, même si les deux ont, au final, une identité propre. Si elles reposent sur un concept similaire d'une équipe d'agents spécialisés dans le paranormal et le surnaturel, elles différent sur leur traitement et surtout dans les thématiques. Du côté des X-Files, l'ambiance penche vers le paranoïaque et la mystique avec son duo-vedette (les agents Mulder et Scully) s'efforçant de prouver l'existence des extra-terrestres et d'un complot gouvernemental. À l'opposé, dans Fringe, l'agent Olivia Dunham (Anna Torv) accepte de se faire transférer dans une nouvelle Division en suivant les conseils de son supérieur, l'agent Broyles (Lance Reddick). Durant ses investigations, elle rencontre Peter Bishop (Joshua Jackson, plus connu pour avoir été Pacey dans Dawson) et son père, Walter (John Noble).
L'une des réussites de Fringe réside dans son trio en vedette. Si on peut être déçu par leur relatif manque de charisme, on se surprend à s'attacher à eux et, en particulier, à Walter Bishop. Walter est un savant un peu perturbé (un doux euphémisme, puisque Olivia doit le sortir d'un hôpital psychiatrique) mais hautement réputé dans des domaines scientifiques non conventionnels. Ses domaines sont appelés fringe science, que l'on pourrait traduire par « science marginale ». De cette manière, il est un atout de poids pour la Division. À cause de son comportement imprévisible, presque enfantin, qui lui a valu son internement, Walter est la source du versant humoristique du show. Sa relation avec son fils Peter en est d'autant plus émouvante et révèle bien des surprises. À la tête de l'équipe, on retrouve l'agent Oliva Dunham. Si le choix de Anna Torv peut laisser perplexe au premier abord (elle paraît trop fragile pour le rôle), les événements la forcent à s'endurcir au fil des saisons et son apparence chétive ne fait que rendre le suspens plus palpable.
En fait, plus que le manque de mysticisme, c'est l'idée de voir des personnages prêts à accepter l'irrationnel que beaucoup peuvent regretter. Pour cette raison, certains résument même Fringe à un simple plagiat édulcoré de X-Files. Ce statut de modèle omet quelque peu l'aspect melting-pot de la série de Carter. En effet, les aventures de Mulder et Scully se veulent les héritières d'une culture populaire, entre autre celle des anciens serials, avec une surenchère de cliff-hanger à la clé et l'influence de La Quatrième Dimension et de Twin Peaks. Chris Carter avoue même s'être inspiré d'une autre série méconnue, Kolchack. De ce fait, la principale difficulté de Roberto Orci et Alex Kurtzman, les deux créateurs de Fringe, a été de trouver une tonalité différente pour que leur show puisse se démarquer. C'est sur ce point que les fans de séries fantastiques et de SF peuvent se retrouver divisés : l'approche mystique de X-Files est remplacée par un parti-pris plus terre-à-terre dans Fringe. Donc, à la différence de Chris Carter qui se veut proche du serial, Orci et Kurtzman s'inscrivent dans une démarche de feuilleton classique, plus humble dans la narration, préférant une écriture plus intimiste au détriment du spectaculaire et où une situation surnaturelle est vite rationalisée par une théorie scientifique non conventionnelle.
De cette manière, dans Fringe, on accorde autant, voire plus d'importance, aux relations entre les personnages qu'aux enquêtes. Ce parti-pris peut en agacer certains, puisque cette démarche a tendance à reléguer les recherches des agents au second plan (alors qu'il est question de théories peu populaires, donc qui mériteraient plus ample explication) et à ralentir la progression du fil rouge, ce que les amateurs de feuilletons fantastiques appellent la mythologie. Là encore, la série de Orci et Kurtzman parvient à s'affranchir pour de bon de l'influence de son aîné : si X-Files fait la part belle aux extra-terrestres et autres créatures surnaturelles, le centre d'intérêt de Fringe se trouve au niveau des manipulations génétiques, des recherches sur les perceptions extra-sensoriels et autres expériences sur l'espace et le temps.
D'ailleurs, le principal souci de la première saison est de prendre presque 20 épisodes pour dévoiler l'axe principal de sa mythologie et il faut attendre le cliff-hanger de la saison pour en mesurer l'étendue. Avant ce retournement de situation, on doit se contenter d'un simple faux-air avec X-Files : chaque enquête confronte la Division avec un mystérieux laboratoire, appelé Massive Dynamic, tout comme Mulder et Scully luttaient contre une conspiration, et Dunham et Broyles doivent faire face à des luttes internes au sein du FBI qui cherchent à discréditer la Division, ce qui n'est pas sans rappeler les efforts de Mulder pour prouver la valeur de son travail. En cela, dès le début de la seconde saison, bon nombre d'intrigues secondaires se dénouent pour clarifier le show. D'une part, les luttes internes cessent, Broyles prouvant la légitimité de la Division avec procès à l'appui et, surtout, la configuration des rapports avec Massive Dynamic est totalement bouleversée : alors qu'il était considéré comme une entité machiavélique, le laboratoire devient une aide salutaire.
En outre, une fois passé ce coup de théâtre, la série assume la bizarrerie de son propos. Le constat est d'autant plus flagrant avec la manière dont est traité le laboratoire de Walter : une sorte de bric-à-brac de savant fou. Alors qu'on aurait pu s'attendre à un simple lieu récurrent où les personnages vont et viennent, ce laboratoire devient au bout du compte le décor principal du show, là où tout se passe, achevant de faire de Walter la figure centrale de Fringe et de donner à la série une dimension farfelue et attachante.
Au final, réduire Fringe à une simple copie de X-Files serait un tort. Certes, sur le papier, le concept de chacune paraît similaire. Néanmoins il est bon de rappeler que la série de Chris Carter n'a pas créé un genre en soi et qu'elle est, elle-même, l'héritière d'une culture populaire. De la même manière, Fringe lui emboîte le pas et trouve ses propres marques. Il serait donc ridicule de ne voir dans la série de Orci et Kurtzman qu'une tentative pour remplacer celle de Chris Carter dans le cœur des fans. L'ambition de Fringe n'est pas d'en remontrer à son aîné, mais juste de raconter une histoire de Science-Fiction à hauteur d'homme et, en se faisant, elle s'inscrit dans la lignée des meilleures séries du genre.
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