Avez-vous remarqué cette capacité qu’a la musique à se charger d’images et d’idées pour devenir plus puissante et prégnante ? Eh bien, Shinsekai Yori, c’est un peu ça pour moi. Une bande-son qui s’est tellement gorgée de tous les moments que m’a fait traverser cette histoire qu’aujourd’hui elle me met immanquablement les larmes aux yeux.
Au moment même d’écrire ces lignes, j’écoute ceci et les larmes coulent sur ma joue. Mais comment en est-on arrivé là, déjà ?
Permettez-moi, avant tout, un petit aparté, car je voudrais vous expliquer pourquoi je vous parle de Shinsekai Yori aujourd’hui. Rien ne vous empêche, si cela vous ennuie, de le sauter : il englobe les deux paragraphes suivants.
J’écris généralement mes critiques directement après mon premier visionnage d’une œuvre, sans recherche supplémentaire, car pour moi une critique a avant tout pour objectif d’aider les profanes à déterminer si une œuvre va leur parler ou non, ou d’aider ceux qui viennent juste de la voir à définir leurs émotions et à durcir ou nuancer leur opinion. Et pour cela, il me semble nécessaire d’aborder une critique d’un point de vue émotionnel et non intellectuel, ce qui ne peut généralement se faire que « dans le feu de l’action » (je veux dire, c'est plus que simplement à chaud, c'est au moment même du visionnage que s'organisent les arguments).
Je choisis pourtant de vous parler de Shinsekai Yori, que j’ai vue pour la première fois il y a plusieurs années, et dont j’ai achevé un second visionnage voilà de cela un mois (second visionnage qui était devenu comme une nécessité). Néanmoins, il me semble que je peux encore vous en parler, car pour moi elle appartient à ces œuvres qui portent encore une émotion très vive dans mon cœur, émotion qui ne fait que gagner en profondeur avec le temps, comme si petit à petit elle s'épanchait, s'infiltrait, glissait dans mon subconscient et me redéfinissait en tant que personne et que sensibilité. Alors oui, comment en est-on arrivé là, déjà ?
On en est arrivé là par un débout poussif. Difficile à comprendre, du fait de flash-backs qui ne seront contextualisés que plusieurs épisodes plus tard. Sans véritable objectif encore, si ce n’est celui de mettre en place les pièces de l’univers qui s’activeront par la suite. Des longueurs, aussi, tout simplement. Certains traits un peu trop forcés qui font redouter un manque de profondeur, une qualité inégale, surtout dans les graphismes (tantôt sublimes et impressionnistes, tantôt… à côté de la plaque).
Bref, ça n’augurait pas du meilleur, sans pour autant annoncer le pire. Les éléments qu’on nous révèle sont néanmoins assez intrigants pour attiser une curiosité sincère, même si la moitié du temps on ne voit pas où ils veulent en venir, et l’autre moitié on voit trop bien où l’on veut nous mener. Tout cela est néanmoins nécessaire.
Il faut presque attendre la moitié de la série pour que l'échiquier se mette en place. Pour que tous les engrenages, un à un, s’enclenchent. En revoyant la série et en connaissant leur fonctionnement, tout cela m’a semblé bien schématique. Pourtant, je me souviens très bien de la sensation que j’ai eue, lors du premier visionnage, lorsque chaque découverte m’apparaissait écrasante, me semblait contenir tout un monde à elle seule. J’étais comme accablée par chaque développement.
J’ai le sentiment qu’il y a, dans Shinsekai Yori, un art de la révélation. Ce ne sont pas des révélations qui sortent de nulle part, et auxquelles on n’aurait pas pu s’attendre en se montrant attentif. Plutôt, au moment où tout prend sens, on l’accepte avec une sorte de naturel. Je ne dirais pas que c’était prévisible pour autant. Je n’avais moi-même rien prévu, tout simplement parce que j’étais trop prise par le scénario pour arriver à prendre du recul, à raisonner de manière logique.
C’est qu’il y a une force d’émotion à la fois touchante et inquiétante. Je ne parle pas des scènes « émotionnelles » en elles-mêmes, que je trouve souvent trop longues pour être honnêtes. Mais une émotion qui suinte de l’atmosphère même de l’œuvre. L'ubiquité d'une innocence naïve et d'un mensonge monstrueux, dont la souillure progresse si paisiblement qu'elle semble se dissoudre. Rien, sur le coup, ne semble corrosif, mais on en sort pourtant rongé. Sous les gouttes d'un sang qui pourtant n'imbibe rien, s'installe de manière à peine perceptible le calme avant la tempête. Une pression atmosphérique qui se fait de plus en plus écrasante, sans pourtant éclater à aucun moment. Et qui rend la conclusion tellement plus triste, parce qu’elle est arrivée si tranquillement, accueillie comme une vieille amie…
Assez d’abstraction pour tenter de synthétiser une fin que je ne voudrais pas vous révéler. Simplement, ne vous attendez pas aux trompettes et tambours. Vous aurez tôt (enfin, tôt, à partir du moment où le scénario aura vraiment démarré…) fait de comprendre qu’on cherche à amener chez vous une réflexion, plutôt qu’à essayer de vous impressionner à grands coups d’effets superficiels. Ce n’est pas non plus la réflexion du siècle, entendons-nous bien. Simplement, on comprend qu’il valait la peine d’attendre, la peine d’apprendre.
J’ai l’air bien modérée dans mes propos par rapport à ma note. Mais, enfin, c’est bien cela même la nature d’un coup de cœur : une œuvre qui vous écrase tellement par l’un de ses aspects que vous êtes prêts à en oublier tous les autres. Après tout, mon autre objet de vénération animé, Tasogare Otome x Amnesia, ne met en scène strictement aucun personnage qui me paraisse supportable. Pourtant, dans un cas comme l’autre, je suis prête à entièrement m’abandonner à l’atmosphère dans laquelle on m’a piégée.
Pour l’anecdote personnelle, la révélation est apparue pour moi à l’épisode 10. D’abord, parce que, lors de mon premier visionnage, j’étais totalement et inconditionnellement amoureuse du personnage qui est à l’honneur dans cet épisode. Mais surtout par cette ouverture, extraordinaire, qui marque un tournant, un point de non-retour dans l’ambiance. Une scène gravée dans ma mémoire, un de ces rares instants de génie qui illustrent parfaitement le fait que l’image et le son sont plus importants que la narration. Et ce titre glaçant qui tombe dessus comme un rideau, comme une apocalypse : Que l’obscurité/Than darkness. Mais je m’égare divinement.
Certaines images toujours me reviennent lorsque j’écoute la musique de Shinsekai Yori. Les mêmes depuis des années. Un feu de bois. Le miroir de l’eau immaculée. Un œil dans un œuf. Un œil rouge sang. Un collier qui se brise. Un masque. Une aurore boréale. Un traîneau dans la neige. Sayônara. Une mèche de cheveux flottant au vent. Une pierre frappée contre le sol pour marquer le rythme. La panique et la terreur de la mort au fond d’un regard bleu. Le sourire de Shûn. Encore. Toujours. Le sourire de Shûn.