Il faut savourer les premiers instants de Shin Sekai Yori. La houle de l’herbe de prairies infinies aux plantations marécageuses des rizières. La silhouette des enfants découpant de leurs ombres la toile de grands panoramas crépusculaires. C’est une bouffée d’air frais avant la suite, les images gravées d’une nostalgie insouciante, chevillées au corps des personnages jusqu’à leur fin. Car un malaise subjugue déjà l’image : les scènes ne se suivent pas, et certaines ne peuvent être comprises. Puis, un enfant disparaît et personne n’en parle. Fatalement, on souhaite savoir.
Peut-être valait-il mieux ne pas comprendre. Rester dans le cocon maternant de cette société abjecte, dystopie agraire de télékinésistes terrifiés. Car, cloîtrés dans leur village-bunker aux conseils totalitaires, tous vivent en réalité dans la paranoïa omniprésente d’un ennemi invincible. Et aucun sacrifice n’est trop grand pour assurer leur survie : pas même les enfants. C’est ce malaise, malsain, qui nous suivra jusqu’à la fin de la série. La défiance intergénérationnelle d’un Battle Royale sans battle royale, d’une communauté esclavagiste qui assassine ses propres enfants.
Il y a bien une faune dans Shin Sekai Yori : des chats impurs, des rats-taupes et des chiens explosifs. Il y a des chauves-souris géantes, des démons de karma et de faux minoshiro : mais il n’y a pas un seul être humain. L’humanité, dans tous les sens du terme, a été perdue, quelque part, au milieu d’opaques flashbacks qui retracent sa chute. La retrouver, c’est toute la quête de la série. L’objectif invisible de ses personnages, la seule qualité de son héroïne : ni forte, ni brillante, mais juste un peu plus stable, un peu plus humaine.
On ne la trouvera nulle part. Gommée, effacée à l’image des aplats de couleurs sans éclairage de ses dessins. Aseptisée sous la beauté saillante de ses décors immaculés : du miroir nocturne des étoiles d’une rivière arasée à la voûte parme écrasante d’un couchant permanent. On ne la trouvera ni dans la province déserte hors des frontières, ni dans les boyaux des ruines-ossuaires. C’était pourtant la pire sentence possible, l’inévitable annihilation programmée.
Shin Sekai Yori propose une définition brillante de l’humanité : l’inhumain, c’est celui qui ne parvient plus à identifier ses semblables comme des humains. Les ogres du syndrome de Raman-Klogius ne cessent jamais d’être perçus comme des humains par les autres : ce sont eux qui en sont incapables. C’est sur ce changement de point de vue, cette définition, ce détail, que toute leur société va s’effondrer. La suite n’a finalement que peu d’importance.
Le massacre tant redouté finit par arriver du système même qui était censé l’empêcher. La série est un bain de sang dont peu de personnages atteignent la fin. L’esclavage d’une race intelligente, la persécution de leurs propres enfants créent cet inhumain qui les mènera directement au bord de l’extinction. Alors, évidemment, au milieu des ruines fumantes de leur société, Shin Sekai Yori nous assène un message d’espoir, un doucereux et banal optimisme pour l’avenir.
Mais quel espoir ? À la fin des fins, rien n’a changé. Les télékinésistes rient au nez de la déclaration d’humanité de leurs esclaves, avant d’envoyer leur leader vers une torture éternelle. Les autres sont littéralement génocidés, épargnant seulement une poignée de colonies loyales. Leurs pratiques eugéniques n’ont toujours pas cessé, et aucune alternative n’est jamais envisagée. Et malgré tout, le seul couple de personnages survivants accepte d’y vivre, là, au milieu des fantômes de leurs amis et de leur famille, victimes directes de la société qu’ils absolvent. Après 25 épisodes d'une quête d'humanité évanescente, Shin Sekai Yori s'achève en trahissant son message.
Ou peut-être pas. Peut-être que la montagne d’artifices d’empathie du récit nous a trahis. On pensait tout savoir de l’héroïne. On a tout vu, sans filtre, désinhibé, de son enfance à son mariage : on connait toute sa sexualité, les scènes de tous ses combats, les noms de toutes ses amours, les visages de tous ses deuils, les souvenirs de toutes ses absences. On la connait mieux qu’elle-même. On se souvient des jeux d’ombres des silhouettes des enfants sur la toile vespérale, bercée par la mélodie familière d'une symphonie éponyme. On sait tout d’elle. On a tout vu, tout sauf un point : elle n’a, en fait, jamais été humaine.