Destin mouvementé que celui de Hell on Wheels. Lancée sur AMC à la fin d’année 2011 alors que la chaîne bénéficie encore de l’aura de ses grands succès critiques des années 2000 (Breaking Bad, Mad Men et Rubicon), le western des frères Gayton divisera la critique et devint aussitôt l’une de ces séries maudites du paysage télévisuel : personne n’en parle, mais elle est pourtant toujours là, le samedi soir, avec ses changements de direction artistique quasi-annuels (on se souvient de la mise en scène ambitieuse de ses débuts) et ses showrunners jouant aux chaises musicales. Beaucoup ont d’ailleurs abandonné Hell on Wheels après dix épisodes, ou après son affreux troisième acte, et cela peut se comprendre : difficile de pardonner tant d’irrégularités, dont la constante aura été son écriture simplette.
On hésiterait pourtant à la recommander. Sur son long voyage de cinq saisons, Hell on Wheels aura su sporadiquement briller : on pense à sa très réussie quatrième saison, à la fin de son deuxième chapitre ou même, plus récemment, à la conclusion définitive de la série. Mais ce serait condamner un potentiel spectateur à des heures entières de visionnage désintéressé d’un show qui n’a souvent fait que se répéter au fil des années, reproduisant à chaque nouvelle rentrée les mêmes schémas vides qui avaient rythmé ses deux premières saisons (celles qui étaient dirigées par les créateurs originaux de la série et dont la fin pouvait d’ailleurs fonctionner un dernier au revoir) : la nouvelle âme-sœur pour oublier le passé, le méchant Suédois qui fout tout en l’air, et les déboires soap opera des personnages secondaires.
C’est là la grande faiblesse de Hell on Wheels : s’être réinventé de nouveaux enjeux chaque saison, en conservant à chaque fois un cadre, un moteur et des visages identiques, mais n’avoir pourtant jamais réussi à en développer un au long terme en dehors de celui, évident, de la construction du chemin de fer transcontinental, sujet principal de la série. On passe donc de la vengeance à la rédemption, on revient à la vengeance pour repartir vers la rédemption, et ainsi de suite pour à peu près tous les personnages présents à l’écran.
Cela a parfois donné lieu à des situations intéressantes, notamment parce que les antagonistes originaux de Hell on Wheels ont toujours été irréprochables (le fascinant Thomas Durant et le terrifiant Thor Gundersen, le Suédois, versant cartoonesque du premier), de même que le personnage principal, Cullen Bohannon, au charisme intact ; mais l’impression d’observer un cycle infini composé des mêmes rebondissements sentimentaux était difficilement évitable : la tragédie finit par en perdre de sa force, et on s’est vite rendu compte que Hell on Wheels n’avait pas grand-chose à raconter.
Si la série parvint tout de même à émouvoir à de rares occasions, sa plus grande réussite aura été son fond thématique : ce chemin de fer n’est pas anodin. Il intervient à une période clé de l’histoire américaine – cette grande construction qui, à la différence de ses homologues lointains (la Muraille de Chine ou le Mur de Berlin), n’était pas là pour séparer, mais pour rassembler. Rassembler deux pôles inconciliables, deux visions du monde diamétralement opposées : l’esclavage et la liberté, la nature et la civilisation, l’humain et l’argent. Hell on Wheels c’est au final une peinture de l’Amérique, dans toutes ses contradictions, sa complexité, ses démons et son égocentrisme. Des hommes qu’on exploite, des hommes mauvais qui font le bien, des hommes qui se comprennent et qui s’entre-tuent. Un territoire sans loi, sans couleur de peau et sans origine – le far west.
Ce sont de biens beaux mots pour parler du clivage entre Ouest Américain et Côte Est, entre confédérés et abolitionnistes, mais il faut dire qu’on aura rarement vu un portrait aussi humain de cette époque pivot de l’histoire moderne. Un portrait empli de symbolisme et d’une rare puissance évocatrice, comme en témoignent par exemple le regard perdu de ce sudiste portant l’Union Blue, de cet indien égaré galopant vers les siens, ou de cet ultime clou qu’on plante dans la terre meuble. On pourra critiquer Hell on Wheels sur de nombreux points : elle aura été fatigante et frustrante, ses prémices nous promettaient quelque chose de bien plus mémorable, elle aura duré une saison de trop – mais on ne peut pas lui reprocher l’honnêteté de son message, touchant et intelligent, qui, à défaut de transcender un petit western légèrement cheap, aura réussi à lui donner un sens bouleversant et quelques personnages magnifiques. Une série qu’on aura aimé adorer et détester, et qu’il fut étonnement difficile de quitter.