Ceux qui ont (eu) la chance d’avoir une Mamie le savent : passer du temps avec elle permet… d’en savoir plus sur ce que deviennent la famille Abbott, la famille Forrester, la famille Logan &/ou même ce qu’il se passe dans le Sud de la France. Du coup, dans un réflexe de plaisir coupable, il ne s’agit pas de refuser de suivre mais juste réunir le peu de contradiction que l’on a pour se prendre au jeu. Tout en se promettant en quittant sa Mamie "que ces séries sont d’une vacuité inégalée & un amoncellement de clichés"….
Adultère, couple illégitime, géométrie amoureuse (le triangle étant une base à peine sulfureuse), trahison, rachat, enjeux financiers, le soap-opera obéit à une mécanique implacable. Du coup lorsque l’on débute Jane The Virgin, on croit d’abord à la (mauvaise) parodie. L’enjeu évoqué dès le titre est illustré… sauce Soap Opera dès les 1ers épisodes. Inutile de penser à la probabilité, à la véracité des situations…. Le pacte est passé, l’audience sait qu’elle regarde… un soap opera qui n’en est pas forcément un. Jane The Virgin c'est donc ces Feux de l'Amour mais qui t'exonère de te justifier, qui t'enferre dans tes contradictions & qui te permet de crier haut & fort que "non ça n'est pas comme ces soaps que tu regardes car tu vois c'est plein de dérision & plus sérieux que tu ne le crois".
Au gré des 5 saisons, la série s’amuse donc des codes des telenovelas &/ou de son pendant occidental, le soap opera. Lorsqu’on y ajoute une colorimétrie très Floride, un sens de l’autodérision assez prononcé mais avec ce côté family first, friendly très CW, on obtient donc Jane The Virgin.
Soit en toile de fond une intrigue amoureuse classique mais tortueuse. Mais c’est ce qui s’articule autour de cette trame principale qui vaut le détour. Immigration, sexe, séduction, parentalité, propriété, famille dysfonctionnelle… non non ça n’est pas le sommaire d’une émission de Bernard de la Villardière. Mais c’est grosso modo, des thèmes abordés par la série.
Bien sûr, le ton se veut léger, parfois mélodramatique mais comique. Mais il y a des incursions que l’on n’attendait pas (notamment avec l’évocation de l’hyperactivité chez l’enfant, ou la question du droit à l’enfant pour toutes/tous) & qui surprend dans un programme qui se veut familial. On pourrait parler d’une volonté de toucher une audience traditionnelle. Cependant, il y a dans Jane The Virgin, cette volonté de conjuguer les destins d’une galerie de personnage qui vont osciller entre réussite & déboires & qui d’une certaine manière vont être liés à jamais.
Alors comme dans toute fiction de ce type, on se plaît à détester, apprécier l’histoire &/ou un personnage. On culpabilise de se demander ce qu’il adviendra d’un tel jusqu’à fermer les yeux sur les facilités scénaristiques, voire pirouettes improbables utilisées par les showrunners. Mais la série ne s’en cache pas : après tout, on est (comme) dans une telenovela. Tout est possible, tout peut être réécrit ou réagencé. Néanmoins, en saupoudrant le tout d’un zeste de contre-pied (politique, sociétal), on obtient une mise en abîme assez savoureuse et intéressante. D’un côté parodique, la série bascule vers quelque chose de plus réfléchi (avec ce petit côté américain très faussement puritain et un peu moralisateur), moins cousu de fil blanc & quelque peu conscientisé.
Malice donc des créateurs que de promouvoir une série qui se veut légère, comique, reprenant les codes d’un genre pour mieux les détourner. De fait, les reproches en irréalisme, en vacuité se heurtent à cette volonté de divertir, d’offrir légèreté & sourire. Mais ne nous y trompons pas : Jane The Virgin offre une lecture un peu plus profonde de la frange américaine issue de l’immigration (1e, 2ème & 3e génération). Ses rêves, ses espoirs sont des thématiques largement rebattues par l’entertainment à l’américaine. Cependant, l’aborder par le prisme de la communauté latino crée quelque chose de rafraîchissant quoique clivant. Et ce ne sont pas les récents déboires de Gina Rodriguez (sorte de porte étendard de la communauté latino & accusée de racisme envers… la communauté afro américaine) qui prouveront le contraire.