Soit, Alexandre Astier possède un humour bien à lui, mâtiné de l'absurde anglais et des gesticulations grincheuses de Louis de Funès ; soit, son travail est remarquable dans sa cohérence, dans sa prodigieuse variété et dans le raffinement avec lequel il parvient à brouiller les pistes historiques ; soit, il a su insuffler à la télévision quelques grammes d'une intelligence bienvenue ; soit.
Mais faut-il pour autant en oublier de discuter du fond de son propos, critiquable à bien des égards ? Propos que, d'ailleurs, il nous ressert à qui mieux mieux, débordant largement les quelques minutes que M6 avait originellement mises à sa disposition : qu'il se mette dans la peau d'un professeur de physique quantique, d'un maître de musique ou du Roi Arthur, Alexandre Astier n'incarne que des dominants dans l'ombre desquels gravitent des subalternes généralement stupides, incultes et malpolis.
Il pourrait s'agir d'un procédé comique comme un autre, de l'histoire du pauvre gars pas trop con qui s'est retrouvé là par hasard et qui, au milieu de la bande de branques qui l'entoure, s'est remonté les manches et a pris les choses en mains pour qu'elles avancent un peu. Mais loin s'en faut. Dans "Kaamelott" comme dans "Que ma joie demeure", le héros (incarné par Alexandre Astier lui-même) est à chaque fois un élu divin, qui possède avec les puissances supérieures un lien direct, personnel et constant. Même lorsqu'il renonce à sa charge, même lorsqu'il retombe dans l'anonymat ou dans la passivité, le héros garde en lui l'essence du winner-né ; ceux qui voulaient le remplacer s'agitent pitoyablement en essayant de maintenir à flots la barque qui, désormais, est condamnée à sombrer.
Ce discours essentialiste, qui nie tout déterminisme social en lui substituant une transcendance divine, culmine dans la phrase prononcée par le soi-disant Bach - "N'importe qui pourrait accomplir ce que j'accomplis, à force de travail, de persévérance et d'engagement", suivie d'un rire forcé à l'ironie manifeste. Nul doute qu'Alexandre Astier lui-même, béni à sa naissance du nom mythologique du grand conquérant "protecteur des hommes", ne se reconnaisse dans cette figure héroïque supérieure à la masse grouillante par la grâce d'une élection mystique. "Bientôt, Arthur sera de nouveau un héros" conclue le dernier épisode de la dernière saison de Kaamelott (et le transforme ainsi en gigantesque clip promotionnel pour les films à venir).
Mais à y regarder de plus près, le chemin qui reste à accomplir à Alexandre Astier pour se hisser au niveau de ses prétentions est considérable. Si les trois ou quatre premières saisons de Kaamelott étaient plaisantes à regarder, légères, pétillantes et drôles, les deux dernières se noient dans un pathétique grotesque et une réalisation d'une lourdeur infinie caractérisée par des travellings ridicules, des apparitions grandiloquentes et un montage niais (la scène de tai-chi-chuan dans les champs, mon dieu).
Pour tout dire, il semblerait que, malgré la haute considération qu'il a de lui-même, au point de s'autoriser des opinions sur tout et sur n'importe quoi, Alexandre Astier soit trop intelligent pour la télévision mais pas assez pour le cinéma. Peut-être aurait-il mieux valu qu'il se limite au rôle que le Tout-Puissant lui avait assigné : nous faire rire par tranches de trois minutes, entre le journal de vingt heures et la quatrième saison de la Nouvelle Star. Dans l'antiquité grecque, vouloir se hisser au-dessus de sa condition de mortel était une faute que les dieux punissaient chèrement.