Kaamelott, ça a commencé avec des petits sketch de trois à quatre minutes inspirés de la matière de Bretagne et lui rendant hommage tout en la détournant. On peut y voir l'influence des écrits de Thomas Mallory et de Chrétien de Troyes, de l'Excalibur de John Boorman, du Sacré Graal des Monty Python, mais également d'une certaine tradition française avec des dialogues ayant des accents à la Audiard entre autre. On peut également y trouver un jeu parfois outrancier, où des personnages agacés rentrent dans des colères noires, inspiré par Louis de Funès à qui la série est dédiée d'ailleurs. Astier utilise en permanence le vouvoiement poli qui contraste avec le langage fleuri de la joyeuse bande qui gravite autour de la table ronde afin de créer un décalage comique.
Si la première saison est un enchaînement hilarant de scénettes qui posent le décor et les personnages, la série évolue très rapidement dés la seconde partie de la saison deux et affiche sa volonté d'aller au delà de la scénette comique pour développer l'histoire arthurienne qui,si elle est passée à la moulinette de l'humour, n'en demeure pas moins très sérieuse quand à ce qu'elle cherche à exprimer sur le monde.
Réduire la série d'Astier à son merveilleux penchant pour la gaudriole de compétition et les dialogues plein de diatribes verbales bien senties ou d'humour nonsensique, c'est passer à coté d'une partie non négligeable du récit qui nous est proposé par l'auteur.
C'est la raison pour laquelle le ton va se faire plus sombre à mesure de l'avancée de la série, et le format évoluer pour permettre de développer la narration plus avant. Cette ambition consistant à vouloir raconter plus de choses que ce à quoi on s'attendait au départ est parfois reprochée à Alexandre Astier.
Je fais partie de ceux qui aiment profondément ce changement de ton. Ma saison préférée étant la cinquième saison, la plus noire de toute, celle où tout se délite, et où des scènes dramatiques très fortes émergent de plus en plus souvent- telle que la scène entre Anton, son père adoptif, et Arthur, ou la scène du retour au château d'un Arthur au bout du rouleau après son périple.
Pourtant, le rire surgit au milieu de ces événements dramatiques, comme il a l'habitude de le faire dans la vie.
Kaamelott parle clairement de la difficulté de s'organiser entre nous, et oppose deux visions radicalement divergentes incarnées par Arthur et Lancelot. Arthur pense que le Graal et la salvation qui va avec doit être trouvé pour sauver tout le monde; que le Graal ça doit être trouvé avec et pour les gens aussi obtus, stupides, désagréables, veules, et cons qu'ils puissent se montrer. Lancelot a une vision élitiste de la chose: le graal c'est pour ceux qui le méritent, et qui peuvent s'en montrer digne. Cette attitude finit par revenir à ne considérer qu'une seule personne qui en soit digne: lui même.
Cette volonté d'Arthur s'incarne tout entière dans ce discours que lui fait césar lorsqu'il est plus jeune, qui le marque à jamais, et qui résume à merveille cet aspect de la série: « Des chefs de guerre, y en a de toutes sortes : des bons, des mauvais. Des pleines cagettes, il y en a. Mais une fois de temps en temps, il en sort un exceptionnel. Un héros, une légende… Des chefs comme ça, il n’y en a presque jamais. Mais tu sais ce qu’ils ont tous en commun, tu sais ce que c’est leur pouvoir secret ? Ils ne se battent que pour la dignité des faibles. »
Se battre justement pour redonner de la force aux faibles, du courage aux lâches, de la connaissance aux débiles et de l'espoir à tous y compris à soi-même lorsqu'on doute de tout et surtout des hommes et donc de soi comme dans cet autre extrait dans lequel Arthur semble vouloir préserver sa réputation tout en essayant de se convaincre lui-même même après que le désespoir l'ait envahi totalement: "« Je suis le roi Arthur. Je me désespère pas. Jamais je perds courage. Je suis un modèle pour les enfants ».
C'est bien cela le cœur de la série, et c'est précisément cela qui fait que j'aime tant le travail d'Astier.
Ce n'est bien évidemment pas la seule raison! J'aime l'humour de la série, ses dialogues loufoques, son propos, ses personnages extrêmement attachants, car chacun d'eux s'avère bourré de défauts et par conséquent infiniment humain. J'aime Kaamelott, parce qu'à certains moments assez sombres de ma vie, Arthur et les énergumènes qui gravitent autour de lui étaient là pour me soutenir et je suis bien certain de ne pas avoir été le seul dans ce cas.
Astier a su créer une communauté autour de sa série tout comme Arthur a essayé de créer une communauté autour d'une quête. Vous pouvez ne pas apprécier sa tentative, et pour se défendre, c'est encore Arthur qui va prendre la parole pour lui dans cet extrait dans lequel on pourrait jurer qu'il parle de la série elle même : « Pour le Graal, j’ai bâti une forteresse, moi. Kaamelott, ça s’appelle. J’ai été chercher des chevaliers dans tout le royaume. En Calédonie, en Carmélide, à Gaunes, à Vannes, aux Pays de Galles. J’ai fait construire une grande table, pour que les chevaliers s’assoient ensemble. Je l’ai voulue ronde, pour qu’aucun d’entre eux ne se retrouve assis dans un angle, ou en bout de table. C’était compliqué, alors j’ai essayé d’expliquer ce qu’était le Graal, pour que tout le monde comprenne. C’était difficile, alors j’ai essayé de rigoler pour que personne ne s’ennuie. J’ai raté, mais je veux pas qu’on dise que j’ai rien foutu, parce que c’est pas vrai. »
C'est peut-être peu de chose au fond. Ce n'est qu'une petite série, mais il semble que c'est à travers les petits gestes, les petites choses, qu'on arrive, une petite chose en entraînant une autre, à changer le monde, et peut-être à trouver le Graal... Ou si on n'y est pas parvenu à s'amuser et à rire ensemble en essayant.
Pour tout ça, pour le soutien dans les mauvais moments, pour les rires aux moments les plus inattendus, pour l'espoir perdu puis retrouvé et pour tout le reste qu'il serait fastidieux de lister, je dois remercier Alexandre Astier et lui dire à tout à l'heure, enfin, pour qu'il nous conte, cette fois-ci sur grand écran, la suite de cette histoire qu'on aura attendu un poil longtemps sans vouloir prendre un ton de reproche, mais j'ai quand même envie de dire: ave Cesar, rosae rosam, et spiritus rex ! Ah non, parce que là, j’en ai marre !
Donc vous avez pas intérêt à nous payer votre fiole... non, à nous payer notre... Bref on en a gros! Donc si vous mettez dix ans entre le premier film et le second, attention! Je vous montre : moi je bondis comme ça, et je vous arrive dessus en piqué diagonal. Et là c'est l'hymne à la cruauté, hein, un autel dressé au culte de la barbarie !
Donc voilà, merci, mais faites gaffe quand même Môoosieur Astier! S'agirait de commencer à nous considérer en tant que tel!