Cette critique de La Légende de Korra concerne actuellement la première saison et contient peu de spoilers, certes, mais très importants. Vous êtes prévenus ! Bonne lecture.
Suite de Aang, Le Dernier maître de l'air, La légende de Korra a la lourde de tâche de faire suite à l'une des meilleures, si ce n'est la meilleure série d'animation US. Comme le dirait les Cahiers du Cinéma dans un numéro ancien, la suite est la première forme de remake. Pourtant, La légende de Korra, si elle effectue des ponts permanents avec la première aventure, se démarque dans sa structure narrative. Certains trouveront sans doute que cela dénature l'esprit de la grande quête initiatique suivie/subie par Aang. Je pense le contraire : les auteurs, Michael Dante DiMartino, Bryan Konietzko ont évité le piège de la suite facile, en ne succombant pas au travers du « more of the same ». Ils ont eu la bonne idée de penser qu'une copie est toujours moins bonne que l'original, d'autant moins bonne que l'attente des fans se cristallise dans des désirs généralement difficiles à satisfaire.
Ainsi, dans une forme plus ramassée de 12 épisodes qui fait l'impasse sur un univers que l'on connaît déjà dans les grandes lignes, et ce malgré les changements liés au bond technologique (l'aventure se déroule trois/quatre générations plus tard), toute l'intrigue se déroule dans une vaste mégapole appelée Republic City, sorte de New York sinisée, où la statue de la liberté est remplacée par celle de Aang veillant sur la ville.
Plus mature, les thèmes sont plus graves, même si l'humour habituel est bel et bien présent (les auteurs détournent la figure sacrée du « Messie » que peut-être l'Avatar. Dans la première série Aang est trop jeune et distrait, dans celle-ci Korra souffre d'un cruel manque... de spiritualité). Cette maturité nouvelle tient sans aucun doute au fait que les auteurs ont tenu compte, grand bien leur en fasse, de l'évolution de leur public cible. En effet, la première série date de 2005 et celle-ci de 2012. Nous ne retrouvons donc pas des personnages de 12 ans mais des adolescents proches de l'âge adulte. La série se permet donc d'aborder des sujets plus délicats avec l'intelligence qui caractérisait l'une des grandes réussites de la première série : briser le manichéisme facile du conte pour enfant pour le confronter à la vérité d'un monde complexe et plus difficile à appréhender que ce que l'on pourrait croire.
Le thème majeur de cette première saison est donc celui du terrorisme. Un groupe clandestin appelé les égalistes, mené par Amon – un personnage portant un masque – décide de renverser le règne des Maîtres des éléments, ce qui met l'Avatar en danger. Plusieurs actions seront menées par ces terroristes, experts en arts martiaux, capables de bloquer la circulation du ki pour empêcher momentanément la maîtrise des éléments et aidés par la technologie, du bâton électrifié au mecha-char d'assaut. Mais surtout, Amon dispose d'un pouvoir unique que l'on pensait seulement en possession de l'Avatar : la possibilité d'ôter à jamais la maîtrise d'un élément à quelqu'un. Le but : créer un monde entier sans maîtrise.
A ce sombre dessein, les auteurs présentent un mobile parfaitement compréhensible. Les individus sans maîtrise sont une cible facile pour les maîtres dont une partie sont des voyous utilisant leur force pour créer des mafias, des réseaux d'influence (les maîtres sont tous à des postes clés du gouvernement) etc. Brimées, les simples gens sont les victimes d'une forme de tyrannie de certains maîtres-ripoux. Ils veulent l'égalité entre les individus pour vivre sans peur : cela passe par la suppression de la maîtrise des éléments, d'autant plus que le monde dans lequel ils vivent est désormais technologiquement suffisamment avancé pour s'en passer définitivement (c'est pour cette raison qu'un grand industriel éprouve de la sympathie pour cette cause). Symptôme de cette soi-disant décadence, la pratique du pro-bending, où la maîtrise des éléments s'apparentant à la maîtrise des arts martiaux s'est avilie jusqu'à devenir un sport populaire, loin de l'élitisme des grands maîtres.
C'est donc non seulement à une menace physique à laquelle devra faire face l'Avatar Korra, mais aussi à une question de morale en apparence inextricable : la révolte des égalistes semblent parfaitement légitime. Cette question sera in fine réglée par l'apparition du mensonge qui, finalement, gangrène souvent les causes radicales et populistes. Cette suite a donc la qualité première de la série d'origine, malgré les grands changements : montrer la vérité d'un monde complexe et rendre la position de l'Avatar inconfortable. Korra n'est plus la lumière de son monde et son statut remis en cause.
Deuxième grand thème, celui de l'amour. Si une petite histoire d'amour est présente entre Aang et Katara dans la première saison, celle-ci est secondaire, sauf peut-être durant la dernière saison où la jeune maître de l'eau se rend compte qu'elle éprouve un sentiment pour Zuko le maître du feu (si, si, j'ai bien suivi l'affaire).
Dans La Légende de Korra, l'histoire d'amour est prépondérante en cela qu'elle fait partie intégrante de l'histoire principale, mettant en scène un triangle amoureux entre Korra – Mako – Asami. Sans détailler, toute la douleur de cette histoire d'amour dont Korra est la grande victime sur 90% de l'anime est de devoir accepter que celui qu'on aime préfère les bras d'un autre. L'amour, c'est compliqué.
Ce qui est agréable à suivre en revanche, c'est l'aspect progressiste de l'anime. Elle est loin l'image de la jeune fille fragile attendant son prince charmant en toute passivité. Comme Katara, Korra a l'initiative de son histoire d'amour comme des coups. Nous verrons donc une jeune femme libérée qui tentera à de nombreuses reprises de faire tomber Mako dans ses bras autant que ses ennemis au sol. Et, petit aparté, cet aspect progressiste est également présent avec le pro-bending, quand le grand maître Tenzin réalise que ce sont les techniques modernes qui vont le mieux à l'Avatar. Comme la première série où l'acte le plus fondamental de Aang est de choisir une voie différente à celle des ses multiples incarnations antérieures, Korra choisit une voie nouvelle pour l'apprentissage. La tradition n'est donc jamais la clé du bien sous prétexte que c'est justement la tradition.
Si techniquement (quelles scènes de combats parfaitement chorégraphiées !) et sur un plan narratif La légende de Korra est de l'ordre de l'irréprochable, ce qui lui manque sans doute de se rapprocher du 10/10 sont quelques facilités expédiées hélas à la fin de cette saison, une sorte de happy ending forcé et capilo-tracté, alors qu'il aurait été tout particulièrement intéressant de conserver une atmosphère crépusculaire. Si l'on est surpris de voir les « méchants » se suicider en mer, on peut regretter voir Mako soudain réaliser qu'il aime Korra. Mais si cela peut passer (des indices nous sont donnés), je crois qu'il aurait été intéressant de ne pas rendre la maîtrise des éléments à Korra dans le même épisode où elle les perd. Cela aurait pu servir de bonne motivation pour la saison 2 en laissant le spectateur dans l'expectative totale et servir de leçon : obliger à Korra à être plus spirituelle et moins rentre-dedans (après-tout, l'enseignement qu'a appris Korra, si sûre d'elle et arrogante en début d'anime en sa qualité d'Avatar est d'avoir su se remettre en cause pour trouver sa place). Plus généralement, on regrettera aussi que les 12 épisodes rendent cette première saison compressée, rapide, comme s'il fallait en mettre le plus possible. La série ne prend pas toujours le temps de tout développer comme il se doit des réflexions importantes comme celles posées par Amon.
Si ces défauts ternissent la série, il n'en demeure pas moins que La Légende de Korra reste deux ou trois crans au-dessus du reste de ce qui se fait habituellement et n'affectent pas tant que ça l'enthousiasme tout particulier que l'on peut ressentir à face à cet univers et à ses personnages si attachants qui auront, espérons-le, permis une remise en cause des schémas trop facile. À cet égard, La Légende de Korra est dans la droite ligne des intentions de Aang, Le Dernier maître de l'air. Être une suite spirituelle est donc sans doute le meilleur compliment que l'on peut faire à notre nouvel Avatar. À ne manquer sous aucun prétexte.