Le Bouseux Magazine
3.4
Le Bouseux Magazine

Émission Web (2018)

Qu'elle vienne de gauche ou de droite, la bouse sentira toujours pareil

Il va falloir s'y habituer.
C'est ce que YouTube permet. C'est ce à quoi les réseaux sociaux incitent.
Avec ce "Bouseux Magazine", on se retrouve avec une énième tribune au service d'un énième tribun.
...Tribune et tribun dont on se serait bien passés.


Pourtant, en soi, les tribuns ne me dérangent pas. Tant qu'on ne cherche pas à se ranger du côté des sauveurs suprêmes et qu'on reste dans les clous d'une loi juste et raisonnable, je ne vois pas le problème qu'il y aurait à ce que chacun s'exprime librement ; à ce que chacun participe à alimenter la sphère de débat public.
Mais bon, moi la question que je me pose en voyant les vidéos de ce "Bouseux" c'est de savoir en quoi le débat se trouve-t-il enrichi avec une telle chaîne ?


"Le Bouseux Magazine" c'est une chaîne créée en 2018 et qui a déjà pondu - au jour où cette critique a été écrite - plus d'une centaine de vidéos.
Les titres en disent vite long sur le contenu : "qu'est-ce que le féminisme ?", "la droite et la morale, une hypocrisie de fond", "le grand remplacement : comment répondre à l'extrême-droite ?", "les gauchos voient-ils des fachos partout ?", "parle-t-on trop du harcèlement de rue ?", "démonstration que le clivage gauche-droite existe", "c'est qui le camp du bien ?", "la culture de l'excuse (de droite)", "le racisme anti-blanc : une vérité qui dérange ?"...
L'évidence saute aux yeux : il sera question ici de parler de politique et de phénomènes sociaux. L'évidence va même plus loin : moi quand je lis "c'est qui le camp du bien ?" je me dis que l'influence d'Usul et de son émission "Ouvrez les Guillemets" n'est pas bien loin. Une impression d'ailleurs vite confirmée sitôt se risque-t-on à lancer une des vidéos du "Bouseux".
Mêmes sujets mais aussi mêmes conclusions. Et avec les mêmes œillères et la même mauvaise foi en prime.


Accusation gratuite, me diriez-vous ?
Eh bien vérifions ça ensemble. Prenons une vidéo au titre prometteur comme sujet d'étude. Pour ma part, celle qui s'intitule "racisme anti-blanc : une vérité qui dérange ?" a très vite attirée mon attention et - vous allez voir - non à tort.


Que nous dit "le Bouseux" dans cette vidéo ?
Il commence d'abord par définir le racisme anti-blanc comme étant une théorie d'extrême-droite (ce qui annonce déjà tout de suite la couleur). Puis il présente le concept en disant que ce dernier a été construit sur un usage fumeux du dictionnaire qui dirait que le racisme c'est "la haine de l'autre en raison de ses origines". Enfin il déconstruit ce concept en rappelant que les dictionnaires ne peuvent faire foi parce qu'ils se contentent de reproduire les sens usuels des mots et non leur sens véritable et que la vérité c'est que, au temps de la traite négrière, un noir qui voulait s'émanciper il n'avait pas le choix : la seule chose qu'il pouvait faire, c'était de s'en prendre aux blancs. Ce n'était pas de la haine contre les blancs nous dit-il, car les noirs n'avaient pas choisi d'être systématiquement opprimés par les blancs. De là en découle dès lors l'idée que le seul racisme qui vaille c'est ce bon vieux racisme systémique et blablabla...


Alors soit, on peut adhérer à ce type de discours, je le conçois.
Moi-même, la première fois que je m'y suis retrouvé confronté, je me suis laissé berner en mode : "bon c'est vrai qu'on ne parle pas de la même forme d'oppression quand on compare d'un côté le racisme ponctuel que peut subir une personne blanche et de l'autre côté le racisme que peut subir au quotidien une personne dite racisée..."
Sauf que, bon... Il ne faut quand même pas longtemps pour se rendre compte des limites d'un tel raisonnement. Et pour cela il suffit juste de revenir à la vidéo du "Bouseux".
Reprenons son cheminement point par point.


Passons le sophisme de déshonneur par association opéré dès le début et intéressons-nous davantage à l'argumentation fournie.
On commence par nous dire que la définition du dictionnaire est fausse sous prétexte qu'elle serait une simple définition d'usage. Mais qu'est-ce qu'un mot si n'est un outil qui ne peut se définir qu'à travers des usages qu'on en fait ? Alors certes, l'usage courant du mot peut être dévoyé par rapport à l'usage originel, académique ou scientifique du terme. Mais dans ce cas peut-être que l'honnêteté intellectuelle aurait été de regarder ces autres usages avant de chercher à reconstruire le sens du mot racisme au regard d'un cas particulier plus que discutable.
Parce que le sens usuel de "racisme" actuellement accepté dans les académies et les sciences c'est : "idéologie postulant une hiérarchie des races", race étant ici à comprendre comme une distinction faite au sein de l'espèce humaine et qu'on entend fonder sur un argument de nature.
Il n'est donc pas question de "haine" et ça n'a rien d'anodin vous allez voir.


Car en effet, on pourrait se demander ce qui dérange tant "le Bouseux" dans cette définition pourtant plus consensuelle du racisme.
...Eh bien pour le comprendre il suffit juste de s'intéresser à cette histoire d'homme noir subissant la traite négrière ; histoire sur laquelle "le Bouseux" entend justifier l'invalidation du sens usuel du mot "racisme".
D'après lui, dans ce cas très précis, un noir ne peut que lutter contre le blanc s'il veut obtenir son émancipation. Ce ne serait pas du racisme car le noir n'a pas choisi le fait que tous les blancs se retrouvent dans le camp de l'oppression. C'est juste systémique. C'est comme ça...
Sauf que, imaginons le cas suivant : dans sa fuite, notre homme noir opprimé est pourchassé sur le port par des mercenaires à la solde des négriers et que, pour se sauver, il doit bondir dans l'un des deux bateaux qui sont en partance à cet instant là. Il a alors le choix entre, d'un côté, le bateau de Béhanzin, roi noir et esclavagiste, et de l'autre le bateau de Victor Schœlcher, un député blanc abolitionniste.
Quel serait le choix le plus pertinent pour l'émancipation de notre opprimé noir ? Aurait-il vraiment intérêt à penser qu'il n'a pas le choix, qu'il faut qu'il aille trouver refuge dans le bateau tenu par le négrier noir parce que le blanc est forcément un oppresseur ?
En d'autres termes, sur ce coup-là notre ami n'aurait-il pas plus intérêt à regarder les couleurs politiques de chacun plutôt que les couleurs de peaux ?
En d'autres termes encore - pour ceux qui ne comprennent vraiment pas - n'aurait-il pas plus intérêt à penser comme un homme de gauche plutôt que comme... Bah que comme un raciste en fait ?


Parce que c'est justement ça l'intérêt de bien prendre la peine de définir les termes d'un sujet avant de s'y lancer. Quand on reste sur l'idée que le racisme c'est juste considérer que l'Humain se divise en races hiérarchisées - sans même qu'il ne soit question de haine ou d'origine - eh bien dans ce cas, le simple fait de considérer qu’intrinsèquement les blancs sont dans le camp des oppresseurs et cela juste au regard de leur race supposée, eh bah c'est faire preuve de racisme.
Même pas besoin de préciser qu'il s'agit de racisme anti-blanc d'ailleurs. C'est juste du racisme ; une hiérarchisation des attitudes au regard des races supposées des gens.
Point barre.


Voilà. Il suffit juste de réfléchir un peu pour balayer et dépasser cet argumentaire des plus fallacieux. Mais bon, pour y parvenir encore faut-il chercher à réfléchir. Et c'est justement tout le reproche que je peux faire à ce "Bouseux Magazine". En fait il n'y a aucune volonté de réflexion ou d'esprit critique. Le seul objectif évident de cette chaîne c'est simplement de reprendre tel quel un prêt-à-penser qui existe déjà ailleurs et de le marteler ad nauseam.
Pas d'angle nouveau apporté par "Le Bouseux". Pas de plus-value. Juste une bête récitation de perroquet.
...Et qui plus est une récitation d'âneries.


Alors après, c'est sûr, on pourra toujours me rétorquer que ma démonstration ne s'appuie que sur une seule vidéo du "Bouseux" ce qui n'est pas totalement faux mais pas totalement vrai non plus.
Des vidéos, dans les faits, j'en ai regardé une demi-douzaine ce qui est certes peu au regard de la quantité produite mais qui, de mon point de vue, me semble largement suffisant pour confirmer mon opinion.
Et même si je concède volontiers au "Bouseux" le fait qu'il peut parfois tenir des propos cohérents et défendables - de la même manière qu'il peut aussi opérer de véritables contre-argumentations appuyées sur des éléments parfaitement recevables - pour moi cela ne remet pas en cause le fond de sa démarche qui, de mon point de vue, est juste rédhibitoire.
L'honnêteté intellectuelle, ce n'est pas seulement quand ça nous arrange. Soit elle est là en permanence et dans ce cas elle fait progresser le propos, l'auteur et l'auditoire, soit elle n'est pas là et dans ce cas on n'est plus dans la pensée, on est simplement dans la récitation dogmatique.
Et c'est triste à dire mais, pour moi, "Le Bouseux Magazine" ça ne va pas plus loin que ça ; ça ne va pas plus loin que du simple dogmatisme ; du simple martèlement de postures moralistes qui s'intéressent toujours aux mêmes sujets - l'affirmation des identités (ou devrait-on dire de certaines identités) - tout en ignorant systématiquement les mêmes sujets qui devraient pourtant être au coeur d'une tribune se revendiquant de gauche : les rapports de production, la répartition des richesses, la lutte entre le domaine public et le domaine privé, les modes de gouvernance, la maîtrise de nos vies et de notre environnement de vie, etc.


Bah oui c'est vraiment triste parce que franchement, ce genre de contenu, c'est clairement contre-productif.
D'un côté ça n’enrôle que les esprits faibles et/ou suiveurs et de l'autre ça donne du grain à moudre à tous ceux qui ne veulent surtout pas entendre parler de remise en cause de l'ordre en place.
Alors certes, après on pourra toujours se dire que ce genre de contenu n'a d'impact que sur ceux qui veulent bien se faire impacter et qu'il suffit d'un minimum de raison et de culture pour ne pas tomber dans le panneau de ces piètres impostures intellectuelles.
Seulement voilà, à une époque où les espaces de sociabilisation, d'acculturation et de politisation deviennent de plus en plus rares au point de se virtualiser pour l'essentiel, la saturation du net par ces tribuns de chambre-à-coucher n'est pas anodine.


Chaque perroquet, qu'il soit d'un camp ou d'un autre, joue sa part dans l'hystérisation du débat ; dans la dilution progressive de la raison au sein de l'espace public ; dans le développement de la pensée hors-sol.
La masse pèse. La répétition martèle. La saturation étouffe et corrompt.
"Le Bouseux magazine" joue sa part.
A chaque fois qu'il se décide à relayer une fumisterie intellectuelle parce qu'elle vient de son camp ; à chaque fois qu'il use d'une contre-argumentation sélective et fallacieuse dans une de ses vidéos de clash (celle contreAnalGenocide est par exemple un beau cas d'école, quand bien même il était possible de s'en prendre à Moizi pour ce qu'il disait vraiment), à chaque fois qu'il entend attaquer un concept sans accepter de prêter le flanc à la critique , "Le Bouseux" participe à l'effondrement de la pensée et de la raison.
Et ce qui me terrifie le plus dans cette histoire c'est que j'ai l'impression que c'est le genre de problématique qui ne le questionne même pas.
Qu'importe l'impact en termes de débat public, de pensée collective et de comportements sociaux sur le net ou ailleurs, ce qui compte c'est d'être dans une logique de guerre d'un camp contre l'autre, qu'importent les conséquences ; qu'importe si on participe à une logique d'alimentation mutuelle des extrêmes.


Alors c'est vrai que c'est pratique de ne pas vouloir voir l'ensemble du tableau ; de ne pas réfléchir en termes d'impacts globaux de ses propres actions et de ses propres discours.
On se contente simplement de voir ce que ça nous apporte en tant que tribun, dans son petit cercle à soi. On se contente simplement de la promotion que ça nous donne et cela, qui plus est, à moindre frais.
Pas besoin de penser : il suffit juste de répéter, de se plier au discours dominant au sein du groupe et d'obéir au dogme.
En d'autres termes il suffit simplement d'accepter de s'aliéner pour arriver à ses fins.
S'aliéner pour avoir le droit de discuter d'égal à égal avec Usul et compagnie.
Après il ne restera plus qu'à aller taper et à s'appuyer sur l'aliéné du camp d'en face pour se maintenir en place et ainsi saturer l'espace public de cette opposition stérile, se persuadant malgré tout de faire le bien.
Un jeu d'ailleurs qui accessoirement arrange bien l'extrême-droite puisque celle-ci, grâce à une opposition aussi friable et contestable, pourra continuer à faire de même de son côté : produire en masse, cibler ses prises de parole sur des points émotionnels qui évitent de traiter de l'essentiel, s'alimenter de l'opposition la plus bête à disposition, répéter sans cesse la même chose, saturer le débat...
Une belle alimentation des extrêmes vous disais-je...
Franchement bravo...


Alors c'est bien gentil, cher "Bouseux", de se ranger dans le camp du bien parce que tu tapes sur le camp de l'extrême-droite, mais sache que dans les faits, sitôt on se décide à mettre les pieds dans la fange du dogmatisme et de l'émotion facile, les idéologies qu'on prétend défendre n'ont plus aucune importance. Car qu'elle vienne de droite ou de gauche, la bouse, au final, sentira toujours pareil...

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le 26 août 2020

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