Depuis le temps que Rochant flirtait avec le monde de l'espionnage, il y trouve le véhicule idéal pour explorer plus profondément encore en un jeu subtil calculs géopolitiques et analyse de psychés tiraillées. Cinq ans après Hatufim qui lance définitivement cette mode du "géopolitiquintime" un peu trop "over" dans**Homeland**, il lance une série rapidement devenue supérieure à ses aînées. La dialectique rigoureuse de l'individuel et du collectif digne d'une dissertation de philo, la tension du thriller singulièrement montée d'un cran depuis le 11 septembre 2001 s'y conjuguent sans discontinuer. La montée en puissance de la série télévisée comme art de la complexité alors que le cinéma s'infantilise à coup de superhéros est le dernier ingrédient qui manquait pour placer cette série au Panthéon du genre.
Les personnages sont confrontés à une complexité des intérêts, ce politique qui n’apparaît jamais mais qui peut rendre nulle une mission, trahir des alliés pour une question de rapport de force du moment, et un tissu serré d'alliances à petite ou grande échelle sur lequel se surimpose des psychés tordues par le métier ou attirées par le métier parce que tordues.
Toute la question est là quand on compare Socrate à Malotru, quand on compare Malotru à JJA. Conserver son intégrité ou se persuader que l'on n'agit pas en fonction de désirs personnels est bien souvent un cruel dilemme imposé aux personnages. Ce qu'ils n'ont pas le droit de faire rend parfois inhumaine ou vaine leur tâche. Ici la seule reconnaissance possible est celle de la famille, du "Père" pour lequel vous œuvrez parfois plus que pour votre patrie.
Le bureau des légendes, une formidable palette de personnages, ne pas se fier aux airs de petit oiseau fragile de la petite Marina, à la maladresse cassante de la tendue Marine -Jeanne,.
à la putain d'armure portée par la Mûle, aux peurs de Jonas qui cache une âme de guerrier à l'intérieur...
La série aurait pu n'être qu'un "one shot" tant le personnage de Guillaume Debailly, sa déchirure entre son service et son amour était l'essence même de la première saison; mais grâce au principe chorale remarquablement tenu, la toile d'araignée tissée par Rochant s'est étendue de saison en saison, frisant l'écartèlement au début de la cinquième: faut-il ressusciter Debailly/Lefèvre/Malotru, Mille Sabords est-il un avatar , un ectoplasme ou un nouveau clandé "tiraillé", Marie-Jeanne sert-elle encore à quelque chose tant le destin de son Guillaume inaccessible l'a minée, JJA va-t-il dépasser la caricature de l'étiquette qu'on lui a accolé dès le départ, Nadia el Mansour a-t-elle
encore quelque chose à nous donner ?
"On a toujours le choix " dit un personnage à un autre dans cette saison cinq, la phrase résonne calmement comme le credo de la série et de son auteur avant qu'il ne tire sa révérence... Elle dit tout de la complexité et de la richesse du "bureau des légendes" avec cette économie de mot des espions avides et avares de vérité.
L'ombre mise en lumière est passionnante.