Chronique en ligne
Vous êtes-vous déjà demandé comment la seconde guerre mondiale aurait pu se conclure ?
Que ce serait-il passé, si l'Allemagne Nazie avait développé la bombe A, écrasant toute résistance des alliés ? Si les grands Etats-Unis étaient tombés face aux forces combinées du Japon Impérial et du IIIème Reich ? Un monde gouverné par le totalitarisme, épouvantable chimère. Une chimère, et pourtant…
Adapté du roman uchronique de Philip K.Dick (également connu pour avoir écrit l'œuvre dont Blade Runner fut l'adaptation), The Man in The High Castle nous peint le tableau d'une Amérique écorchée entre deux empires fascistes: les états japonais du pacifique à l'ouest, et le Grand Reich à l'est dont la puissance n'aura jamais été aussi absolue. La quasi-totalité du globe est désormais régie par la main de fer dictatoriale. Les années 60 existent ainsi sous un nouveau jour, dans cette histoire parallèle où les citoyens assujettis des deux empires vivent sous le joug de leurs nouveaux maîtres.
Mais première chose surprenante dans cette réécriture de l'Histoire: la vie suit son cours. La vie suit son cours, car du culte de la personnalité à la glorification aryenne, en passant par les pires répressions raciales, tout est devenu la norme. Le nouveau mode de vie imposé depuis 20 ans a peaufiné la transformation des mœurs des vainqueurs sur les vaincus, et ne choque plus grand monde.
Tout comme dans notre monde, l'acculturation Américaine après la guerre a fortement marquée le globe (musique, idéal, politique…), les deux grands vainqueurs ont répandu leurs mode de vie comme une trainée de poudre par colonisation, et assimilation. Une métaphore illustrant la facilité humaine pour s'adapter à un ordre social, même tyrannique.
Si le refus du fascisme n'a pas disparu, la domination est telle, et les effectifs des résistants si faibles, que faire basculer le pouvoir au moyen d'une rébellion populaire est un rêve impossible.
Un espoir subsiste néanmoins pour les opposants aux deux totalitarismes: par leur essence même de nations belligérantes, ils pourraient les dresser les uns contre les autres; et ainsi les affaiblir de l'intérieur.
Et quoi de mieux pour faire vaciller un empire que de remettre en cause ses origines ? D'annoncer publiquement que leur règne immuable ne se base que sur des mensonges? Que le monde aurait pu être différent ?
C'est là qu'intervient la trame de la série: lorsque de mystérieux films sont secrètement transportés par la résistance à destination du "Man In The High Castle". Films, d'un réalisme hors-pair, montrant… les alliés gagner la guerre, le Japon se rendre, Berlin capituler, les soviétiques parader. En d'autres termes, notre histoire.
Dans la réalisation, ce qui frappe avant tout est le souci de réalisme ayant guidé les auteurs dans l'élaboration de la série. Ville renommées, nouveau passé autour d'une guerre sur le sol américain, japonais vénérant une stèle de l'amiral Yamamoto, Hitler, Rommels et Heydrich encore vivants… La réécriture de l'histoire ne se limite pas à un groupe d'évènements, mais à une version totalement alternative de la réalité, dans ses moindres détails.
Par ailleurs, le scénario convergeant autour des mystérieux films, destiné au non moins mystérieux homme du haut château, propose une mise en abîme à l'intérieur d'une mise en abîme. En effet, pour nos héros de cet univers, voir les alliés l'emporter sur le Reich et bombarder le Japon revêt des allures de fiction, d'utopie. Tout comme pour nous, spectateurs, voir la croix gammée flotter sur l'Empire State Building nous semble fantaisiste.
Une nouvelle puissante métaphore, sur la vanité de notre condition sociale; brillamment imaginée par Philip K.Dick.
Les différents protagonistes de la série évoluent au sein de ce contexte, chacun ayant ses motivations propres et ne se limitant pas aux clichés si facile à établir. Même l'obergruppenführer de New York (haut cadre de la Waffen-SS) ou le chef inspecteur du Kenpeitai (la police d'état Japonaise), bourreaux inquisiteurs, sont dépeints de façon travaillée. Car même les citoyens intégrés et hautement placés de ce grand Reich sont rattrapés par la cruauté du fascisme, et de ses lois discriminatoires.
Pour autant, la série se veut sobre sur sa mise en scène, distillant les actes odieux contre lesquels toute personne juste ne pourrait que s'insurger; mais qui ne peut pas, sous la terreur de la répression étatique. Ainsi, The Man in The High Castle nous plonge nous, spectateurs, dans la même angoisse silencieuse qui enveloppe nos héros.
Enfin, la saga développe une histoire riche, à un rythme juste, servie par un très bon casting et par les accents dramatiques de la bande-son d'Henry Jackman, nouveau prodige d'hollywood.
VERDICT:
Scénario: 5/5
Ambiance visuelle: 4,5/5
Musique: 4/5
Jeu d'acteurs: 4/5
A l'image d'un Black Sails et de son Michael Bay, la série porte un grand nom dans sa production: Ridley Scott. Mais au-delà de ce réalisateur de talent, The Man in The High Castle fut la première série ambitieuse produite par Amazon. Avec d'autres initiatives tel que Marco Polo ou Beast of No Nation (produits par Netflix), les plateformes du web recèlent décidemment de pépites cinématographiques qui ne demandent qu'à être découvertes.
Pourvu d'une mise en abîme de société utopique, d'une trame sérieuse sans jouer dans la surenchère dramatique, d'une atmosphère lourde sans abuser d'artifices musicaux, de personnages affirmés sans être prévisibles, The Man in The High Castle est l'une des plus brillante uchronie des dernières années.
Un tableau humain basé sur une fiction, mais un tableau si cohérent et réaliste que l'on pourrait y croire. Du grand art.