Grand lecteur de K.Dick, je vous propose mon analyse point par point de la série adapté d'un de ses plus célèbres romans : The Man in the High Castle.
Pour ceux que ça emmerde de lire un long texte, vous pouvez retrouver un résumé de mon avis tout en bas de la critique, il vaut tout aussi bien que les pavés qui vont suivre.
Pour les autres, je vous préviens, il y a du spoil du livre qu'il vaut mieux avoir lu avant (ou du moins pour ceux qui espèrent le lire un jour). Quant au seul vrai spoil de la série, il est balisé, donc pas de soucis.
C'est parti.
De quoi parle vraiment le livre de Dick ?
Le Maître du Haut Château a beau avoir été récompensé par le prix Hugo Howard, il n'en déçoit pas moins de nombreux lecteurs encore aujourd'hui tant on leur vend des qualités qu'il n'a pas. Ce n'est pas une uchronie palpitante. C'est simplement le récit calme d'une Amérique sous occupation. On y suit des personnages trimbalés par leurs vies ordinaires dans un San Francisco habitué à l'occupant Japonais. Il n'y a, dans le livre, pas une seule forme de résistance, si ce n'est celle d'un certain Frank Frink qui décide de monter son petit business de joaillerie alors que sa religion juive (qu'il cache) lui interdit. Pas de terreur, pas d’oppression visible, mais bien une acculturation car c'est ainsi que naissent les Empires, pas forcément en détruisant leurs ennemis mais en les phagocitant. Le livre raconte aussi, en parallèle, l'histoire de complots lointains qui se préparent chez les nazis, en vue d'une guerre prochaine qu'un certain monsieur Tagomi aimerait éviter sans pouvoir y faire grand-chose. Puis, comme une cerise sur le gâteau, l'introduction d'un livre La sauterelle pèse lourd qui raconte une autre réalité, un "ce que ça aurait pu être" si les alliés avaient gagné la guerre. Et ce livre éveille le vain espoir d'une certaine Juliana (ex-femme de Frink) qui décide d'aller rejoindre le plus facilement du monde son auteur, le maître du haut château.
Je résume le livre car il faut bien avoir en tête l'intention de K.Dick lorsqu'il l'écrit. Il pose simplement une question : en quoi ce monde où nous serions perdants diffère-t-il tellement de celui où nous sommes gagnants, et même de celui que raconte la sauterelle pèse lourd ? En effet, la vie des gens ordinaires y serait la même.
La série, pour des raisons valables, décide de raconter autre chose.
Des écarts qui fonctionnent
La série s'écarte souvent du roman pour donner à cette histoire une plus ample dimension. Tout d'abord, une excellente idée : celle de ne pas introduire UN livre (la sauterelle pèse lourd) mais DES films qui montrent une réalité alternative où les alliés auraient gagnés la guerre. D'un coup, cet élément très Dickien prend une toute autre allure puisque les films, contrairement au livre, défient les questions techniques. En effet, il est bien plus facile de mentir par écrit que par pellicule, surtout lorsque celles-ci montrent en images (réelles) des soldats soviétiques entrain de prendre Berlin ou des marines US entrain de soulever le drapeau de la victoire à Iwo-Jima. La dimension SF a d'emblée plus de force dans la série qu'elle n'en a dans le livre. La série abandonne donc l'hypothèse que suggérait le livre au lecteur, à savoir que ce maître du haut château pourrait être un menteur, comme le Yi-king une foutaise et Juliania une folle. K.Dick ouvrait le champs des possibles, la série non.
Ce qui est Dickien dans la série
J'entends par là relever ce qui pour moi ressemble à du K.Dick dans la série, et ce qui respecte le roman. Mais n'allez pas croire que je demande à la série de coller au roman, loin de là. Seulement voilà, il y a des éléments que les scénaristes ont préféré garder et ils ont bien fait. Par exemple, ils ont bien fait de garder les rôles principaux de quelques personnages. Callahan, bijoutier soumis à ses clients nippons qu'il déteste mais qu'il fait semblant d'admirer. Personnage qui permettait à Dick de décrire les relations tendues entre les vainqueurs et les vaincus (ou occupant et occupés). Mais le meilleur personnage est celui de Tagomi, ici ministre du commerce japonais, inquiet du sort de son pays alors qu'il sent arriver une prochaine guerre. Et cet élément qui n'était qu'en second plan dans le livre devient dans la série un axe narratif aussi important que celui des fameux films. Tagomi magouille avec un certain Wegener (suédois nazi) pour éviter une guerre que les deux nations veulent. Wegener et Tagomi sont donc des traîtres puisqu'ils veulent freiner les ambitions respectives de leurs pays. Ce sont à mes yeux les deux personnages les plus intéressants de la série car ils la boostent durant une bonne partie sans pour autant dénaturer l'intention originale de K.Dick. Une nouvelle guerre est en marche mais tout le monde n'en veut pas. Les nippons et les nazis ne sont pas tous des salauds. Hitler lui-même refuse cette guerre même si d'autres complotent contre lui (ou attendent impatiemment sa mort) pour prendre sa place et accélérer l'Histoire. Là encore, c'était dans le livre de K.Dick et c'était une excellente idée.
Et enfin, la série respecte un certain "ton dickien" par ses nombreux dialogues bien écrits, posés, lents et soutenus par des tensions invisibles et des intérêts personnels. Car pour moi K.Dick, ce n'est pas d'abord des androïdes et des simulacres mais surtout des hommes posés dans un bureau entrain de discuter calmement business ou politique. Lisez-le et vous verrez. Là où on l'a peut-être le mieux adapté reste cette fameuse scène de l'interrogatoire au début du Blade Runner de Ridley Scott. Bref, je m'égare, mais tout ça pour dire que l'ambiance de The Man in the High Castle est une très bonne adaptation de l'ambiance de l'ensemble des romans de K.Dick. Ceci-dit ce n'est pas forcément un bon point pour la série, c'est même justement ce qui lui fait défaut.
Ce que je reproche à la série
C'est d'échouer dans son envie de booster le rythme. En effet, le roman de K.Dick est lent car il raconte quelque chose de lent : la vie des gens ordinaires. Mais la série, elle, décide de s'écarter du livre en racontant non pas une acculturation entre américains et japonais mais une guerre de résistance. Rappelons qu'il n'y a pas de nazis dans le roman, on voit surtout les japonais. Mais dans la série, il y en a et ils sont encore et toujours ces éternels affreux officiers prêts à vous tirer une balle dans la nuque. Les japonais quant à eux sont des oppresseurs qui se mettent à utiliser des chambres à gaz. Si la série parvient à brosser de temps en temps quelques subtilités avec des personnages comme Tagomi ou Wegener, elle dessine malgré tout un univers balourd et facile où les forces de l'axe sont les méchants, et les américains les gentils. Chose que K.Dick prenait soin d'éviter.
Et bien soit. Je ne suis pas contre enlever un peu de subtilité si c'est pour ajouter un peu de rythme. Malheureusement ce n'est pas ce que fait la série. Elle promet beaucoup de choses aux spectateurs en démarrant fort avec ses résistants et ses méchants nazis (dont l'excellent Obergruppenführer John Smith) mais oriente différemment l'uchronie, par rapport à ce que K.Dick en faisait :
Dans le livre, personne ne se bat et personne ne souffre. Les gens ont simplement la défaite amère et le rêve d'une réalité alternative où l'Amérique serait victorieuse ne pose même pas de problèmes aux japonais, puisqu'un couple de nippon décide de prêter le fameux livre à Callahan. Tout au plus cette autre réalité insondable ne peut éveiller qu'un lointain espoir dans la tête d'une folle comme Juliana. S'il y a une autre dimension temporelle, elle est loin, trop loin pour être poursuivie. L'uchronie sert seulement à décrire un autre monde sans méchant ni gentil.
- Dans la série, la réalité alternative montrée par les films et bien plus palpable et elle est poursuivie pendant 10 épisodes par la résistance américaine. Elle est l'objectif principal des personnages. L'uchronie sert donc à décrire un monde injuste où les gentils vaincus continuent de se battre contre les méchants vainqueurs.
Et alors la série, déjà bien empêtrée dans sa lenteur et dans son manque de subtlité, fait de nouveau un faux pas dans l'épisode 9 :
Le second film que Juliana et Joe ont réussi à prendre aux Yakuzas montre une réalité alternative où Frank est un prisonnier exécuté par un Joe nazi après une nouvelle guerre nucléaire. L'avenir ? On ne sait pas. Pourquoi ajouter cette nouvelle réalité ? On ne sait pas. Pourquoi recentrer cette réalité alternative sur une poignée de personnages alors que la dimension universelle des premiers films avaient bien plus de puissance et de mystère ? Juste pour orienter les décisions de ce pitoyable triangle amoureux ? Ce qui signifie que, en gros, l'élément SF le plus dingue de la série (et du livre) est utilisé comme un outil narratif de soap. L'autre réalité ce n'est donc plus celle des alliés victorieux mais c'est celle où l'amant tue le mari dans un futur proche. Grosse idée de merde qui plombe définitivement la série.
Concluons
The Man in the High Castle dénature le roman originel pour en tirer un idéal inintéressant. En gros, pour les gens n'ayant pas aimé le roman, la série leur propose d'être tout ce qu'ils auraient aimé que le roman soit. C'est à dire une histoire sombre d'un man-in-high-castle, chef d'une résistance sourde contres les barbares nazis, lâchant ici et là les preuves d'une réalité alternative qui fait trembler le Reich. Vous qui avez mis des mauvaises notes au livre de K.Dick, c'est peut-être ce que vous espériez de lui, une histoire pleine de méchants nazis. Et bien la série vous l'offre, elle vous offre ce manichéisme de mauvais aloi mais garde également la lenteur du roman, qui n'a alors plus du tout sa place dans la série et qu'on aurait pu évacuer. La série n'aurait pas dû souffrir de ce loooooooooooooong étirement sur 10 épisodes d'un scénario qui avait tout pour être rythmé.
On se retrouve donc avec une série qui tente de réveiller de temps en temps son spectateur avec quelques bêtes trouvailles (le personnage du chasseur de prime en est un bel exemple) mais qui peine à cacher son manque de rythme. On se fait chier à chaque épisode, priant pour que ça s'accélère, déçu de voir que l'écriture brillante des personnages ne suffit pas à booster une série qui aurait eu bien besoin de boire un peu de red bull.
C'est pas complètement nul mais c'est quand même du gâchis : 5/10
Résumé :
Le livre de K.Dick est lent mais c'est justement parce qu'il raconte peu de chose, et surtout la vie lente et paisible des américains vaincus par les forces de l'axe. Mais des américains qui se font à cette situation même s'ils râlent un peu de temps en temps. La série, elle, dès le départ choisi de niquer toute subtilité en montrant des ricains rageux et courageux contre des pourritures nazis et des gros péteux de japonais. Puisque ça a choisi d'être con, ça aurait au moins pu être rythmé mais non ! C'est tout mou du zboub et on se fait chier durant 10 épisodes.