Saison 1 :
Liquidons tout de suite le débat inutile sur la proximité de cette série avec le chef d’œuvre uchronique de Philip K. Dick, "le Maître du Haut-Château" : bien entendu, aucun rapport, si ce n'est l'utilisation de l'univers paradoxal créé par Dick dans lequel les forces de l'Axe ont gagné la Seconde Guerre Mondiale, et de quelques uns des personnages du livre. Et là n'est pas le problème, les adaptations fidèles de Dick se comptant de toute manière sur les doigts intacts d'une main mutilée.. Le problème de la première saison de ce "Man in the High Castle", production à gros budget de la maison Amazon, c'est qu'elle est à la fois inepte et horriblement soporifique. Inepte car totalement départie d'un scénario cohérent, se contentant d'un enchaînement aberrant de situations ridiculement fausses, et conduite par un trio de personnages aussi mal écrits que mal interprétés par trois jeunes acteurs incompétents et sans aucun charisme. Soporifique car le(s) réalisateur(s), en l'absence de scènes intéressantes ou même simplement signifiantes à filmer, ont reçu des instructions évidentes de filmer les coûteux décors et de faire durer le tout le plus longtemps possible (sans doute une mauvaise interprétation de la part de la production quant aux spécificités du cinéma japonais...). Cette Bérézina s'amplifie d'ailleurs lorsqu'on s'approche de la conclusion de la saison puisque les scénaristes font une erreur fondamentale sur ce que Dick a voulu représenter par son "Poids de la Sauterelle" (lui aussi uchronique), stupidement remplacé par des bandes d'actualité (ce qui désamorce donc et le thème de la création littéraire séditieuse et le vertige de l'empilement des uchronies), et nous gratifient même d'un final risible que l'on croirait tout droit sortie des fantaisies de "Fringe". Bref, une semi-catastrophe, seulement évitée grâce à quelques seconds rôles conséquents. Pas sûr que je continue sur ce chemin de croix. [Critique écrite en 2017]
Saison 2 :
La meilleure chose qui ait pu arriver à "The Man in the High Castle" dans sa seconde saison, c'est la nécessité d'abandonner ses références phildickiennes dont il n'a clairement rien su faire, incapable qu'il est de provoquer le moindre vertige existentiel. Les scories du concept original sont d'ailleurs la cause des pires faiblesses de cette deuxième saison (les allers et retours inexplicables de Tagomi entre les univers parallèles, la manipulation totalement incompréhensible et absurde dont est victime Juliana...), même si les incohérences scénaristiques continuent à être le gros problème d'une série à laquelle on a du mal à adhérer, tant les invraisemblances du comportement des personnages et les maladresses narratives s'empilent. Au rayon des points négatifs, on reste avec ces trois personnages "principaux" (Frank, Joe et Juliana) monolithiques, inintéressants et bien mal incarnés par leurs jeunes acteurs à la peine (heureusement que, en suivant la mode lancée par "Game of Thrones", nous voilà déjà débarrassés de l'un d'eux !). Là où "The Man in the High Castle" nous gagne à sa cause, c'est lorsqu'il se penche sur les crises familiales des uns et des autres : l'angoisse devant la maladie d'un enfant, le désir de retrouver un père qu'on pensait "perdu", l'accablement devant les erreurs commises au fil du temps... sont trois sujets bien traités ici, qui nous font supporter les interminables scènes de complot au sein de la résistance ou des gouvernements. De même, l'aspect uchronique est plutôt bien travaillé dans toute la partie se passant à Berlin, jusqu'à un paroxysme spectaculaire dans le dernier épisode. Mais au final, je crois que s'il y a un élément unique qui puisse justifier un minimum de fidélité à cette série bancale, c'est probablement l'interprétation de Rufus Sewell, qui a certainement trouvé ici le rôle de sa vie. [Critique écrite en 2017]
Saison 3 :
Dans la droite ligne de la seconde saison, nous retrouvons donc les protagonistes de la série affrontant les conséquences dramatiques de leurs actions : Frank Frink est traqué dans la Zone Neutre par les services secrets nippons bien déterminés à lui faire payer l'attentat meurtrier de San Francisco, Joe Blake est entraîné à la suite de son père dans les geôles nazies d’où il sortira transformé, Juliana Crane assume enfin son destin tel qu'il est écrit dans les films que le Maître du Haut Château lui a révélés, l'Obergruppenführer John Smith continue son ascension politique, ce qui l'oblige à gérer et le chagrin familial suite à la disparition de son fils et les crimes commis pour le protéger, tandis que Tagomi est rongé par les doutes que sa faculté à "voyager" a fait naître en lui, alors même qu'il affronte politiquement les Nazis dans une situation économiquement et militairement difficile pour le Japon. Soit de quoi richement alimenter dix nouveaux épisodes qui explorent plus profondément de nouveaux aspects de l'uchronie imaginée par Dick : des chasseurs de juifs aux trafiquants de memorabilia américaine, des tueurs du Reich au cerveau préalablement lavé à ses propagandistes qui réécrivent en permanence le passé, il y a amplement de quoi se régaler, pour peu qu'on aime jongler avec les concepts historiques et les faire fonctionner dans un contexte imaginaire.
Mais c’est lorsque les Nazis entreprennent la destruction spectaculaire des symboles du passé des Etats-Unis (statue de Lincoln, cloche de la Philadelphie, figures du Mont Rushmore, et puis, couronnement de la saison, la statue de la Liberté elle-même), la série atteint un beau paroxysme qu'on ne l'aurait jamais cru capable de générer à ses piètres débuts. Et justifie enfin pleinement son existence… L'aspect purement S.F. monte lui aussi en puissance, les scénaristes se concentrant sur le thème des mondes parallèles et de la possibilité de passer de l'un à l'autre (ce qui est, rappelons-le quand même, complètement étranger à l’univers de Dick, qui construisit la plupart de ses fictions sur l'incertitude de la réalité et les vertiges existentiels conséquents…), ce qui nous donne une conclusion certes un peu plus puérilement spectaculaire (le tunnel dans la mine, le départ de Juliana…), mais fort excitante.
La conjugaison et l'alternance de ces deux axes principaux – la « réflexion » politique avec l’uchronie qui confronte ce que nous savons – ou croyons savoir – de l’essence des Etats-Unis à deux systèmes totalitaires différents, et le pur divertissement basé sur un sujet « SF hardcore » classique - contribuent clairement à la singularité de ce "Maître du Haut Château", qui se révèle donc à la longue plus ambitieuse, et plus réussie, que prévu.
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/04/04/the-man-in-the-high-castle-et-le-vertige-de-luchronie/
Saison 4 :
On a vu au cours des trois saisons précédentes du "Man In the High Castle" ("le Maître du Haut Château"), l’adaptation luxueuse – produite par Ridley Scott, qui plus est – de l’un des grands classiques de Philip K. Dick, comment les scénaristes ont su nourrir leur fiction des intuitions géniales du maître de la SF conceptuelle pour inventer une impressionnante fresque uchronique, soulevant des questions passionnantes sur les liens entre la culture américaine et l’idéologie nazie. La décision d’Amazon de mettre fin à cette belle série, qu’on aurait aimé voir durer plus longtemps, sans doute faute d’un succès public suffisant, a clairement obligé les scénaristes à accélérer le déroulement de leurs différents fils narratifs et d’arriver à une résolution « satisfaisante » en seulement 10 épisodes. C’est dans cette accélération du rythme de la série que se trouvent, et c’est logique, à la fois les grandes qualités et les gros problèmes de la saison.
Première surprise dès le premier épisode, l’évacuation à la va-vite de l’un des personnages les plus intéressants de la série, le ministre Tagomi, sacrifié sur l’autel de l’efficacité de la saison au prétexte d’un attentat dont nous ne verrons (presque) rien : le fait qu’on ne laisse même pas l’excellent Cary-Hiroyu Tagawa revenir offrir à son personnage une dernière apparition frôle l’irrespect total vis-à-vis de son travail jusque-là, sans parler des téléspectateurs, forcément déçus par l’abandon péremptoire de ce fil narratif passionnant.
Pas le temps néanmoins de digérer cette déception que le tourbillon scénaristique nous emporte, et il faut admettre que la plupart des épisodes de la saison sont d’une redoutable efficacité dramatique, que cela soit au niveau émotionnel (comme toujours, les tourments familiaux de John Smith, son épouse et leurs enfants remportent la palme…) ou au niveau spectaculaire (quelques belles scènes d’action et de tension émaillent la saison), et surtout politique : ainsi, l’avant-dernier épisode offre un coup de théâtre remarquable, et s’avère l’un des plus excitants – et satisfaisants – de la série.
Cette dernière saison offre en outre une vision politique plutôt agressive de la situation des noirs américains, conduisant la révolte contre l’occupant nippon, et mettant au même niveau l’extermination nazie des races non aryennes et l’esclavage et ses conséquences. Lorsque, dans la dernière partie de la saison, on assiste à la planification de l’implantation de camps d’extermination sur le territoire américain, destinés aux juifs, mais aussi aux nègres, il est difficile de ne pas frémir en imaginant en effet les conséquences de l’expansion planétaires de théories racistes…
Il est donc d’autant plus dommage que l’ultime épisode, après une excellente conclusion de l’histoire du Reichsmarschall John Smith (Rufus Sewell dans ce qui restera probablement le rôle de sa vie !), nous propose une dernière scène totalement absurde, injustifiée, incohérente par rapport à tout ce qui a précédé, gâchant un peu le bon souvenir que l’on gardera de cette série audacieuse et originale.
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/12/05/amazon-prime-the-man-in-the-high-castle-la-derniere-saison/