The Mody Blues
Excellente mini-série française, qui s'achève hélas moins bien qu"elle n'avait débuté, comme souvent. Ainsi, le dernier épisode m'aura laissé sur une impression frustrante (procédés narratifs...
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le 28 sept. 2022
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Une histoire dans l’histoire
Adrien est écrivain. Après sa sortie de prison pour violence sur la voie publique, celui-ci a écrit, sous le pseudonyme « Mody », un premier livre qui lui a valu une certaine notoriété dans le milieu. Essentiellement élevé par sa mère, ce quadragénaire au sang chaud et au mode de communication plutôt frustre n’a plus connu de père depuis la petite enfance. La colère intérieure qui le ronge depuis son plus jeune âge s’est cependant trouvée apaisée auprès de Nora, sa conjointe. Avec elle, il a acquis une forme de stabilité qui semble toutefois ne tenir qu’à un fil. Or, un jour, un certain Albert Desiderio le contacte pour lui raconter sa vie afin qu’Adrien en fasse une biographie. Sa vie, ou plutôt son histoire d’amour avec Solange qu’Albert a rencontré enfant. Ces deux marginaux devenus rapidement inséparables semblaient voués à passer leur vie ensemble. Toutefois, Albert confesse rapidement qu’en temps que jeunes adultes, le couple avait tué deux jeunes hommes alors que l’un d’eux avait cherché à violer Solange. Dès lors, et au fur et à mesure que les confidences d’Albert transforment la romance en véritable jeu de massacre, Adrien commence à perdre pied, hanté par ses démons. Parallèlement, Carrel, flic de son état, se replonge clandestinement dans des enquêtes non résolues d’hommes tués dans les années 70 au Sud de la France.
Murders in the 70’s
Dans un premier temps, cette histoire de meurtres en série fait étrangement penser à « Le serpent », série inspirée de faits véridiques qui retrace le parcours de Charles Sobhraj, un Français résidant en Inde. Celui-ci tuait sans scrupules des touristes dans les années 70 pour leur soutirer leur argent. Certes, ici, la trame narrative diffère, mais on s’attend malgré tout à devoir supporter une succession de meurtres violents durant plusieurs épisodes. Ils ont bien lieu et nous sont montrés sans détour, procédé sans doute nécessaire mais efficace pour accentuer l’intensité du récit. Mais heureusement, la narration d’Albert les condense sur un laps de temps suffisamment bref pour que leur description ne devienne ni lassante ni voyeuriste. En revanche, on retrouve des similitudes logiques entre les deux séries quand il s’agit de mettre en images une période particulièrement typée question mode : coiffures foisonnantes, pantalons pattes d’éph… Tout y est dans cette retranscription que l’esprit d’Adrien met en images à partir de ce qui lui est raconté. La photographie s’arme même d’un filtre tendance sépia, certes un peu facile, mais qui colle parfaitement avec la période et aux lieux baignés de soleil dans lesquels sévissent les deux amants.
Un acteur au-dessus de la mêlée
Et s’il s’agit durant un temps de retranscrire comme le faisait « Le serpent » des événements passés, le fait que le narrateur nous devienne familier change considérablement la donne. Car progressivement s’instaure entre lui et son biographe une relation qui va rapidement jeter le trouble dans l’esprit d’Adrien et dans le nôtre. Comment détester cet homme affable et prévenant qui voit en cet écrivain prometteur un confident à qui il livre sa part d’ombre la plus inavouable ? Comment ne pas trouver fragile et sincère la manière qu’il a ainsi de se confier ? Et en cela, la performance de Niels Aretrup en Albert vieux et fatigué est tout à fait exceptionnelle. Sa douceur presque inquiétante quand on connaît la nature du bonhomme, sa diction chaloupée, bref son charisme, portent en grande partie la série. A ce petit jeu relationnel, Nicolas Duvauchelle dans le rôle d’Adrien apparaît plus binaire dans la manière qu’il a de retranscrire les émotions de son personnage.
Polar ? Vous avez dit polar ?
Et alors qu’on ne s’y attend pas, les révélations viennent percuter brutalement le présent ; dès lors, le polar occupe l’entièreté de la narration. Peut-être trop brutalement d’ailleurs car en 15 minutes, tout bascule. A tel point qu’il ne suffirait de pas grand-chose pour que cela vire au n’importe quoi. Et si ce n’est pas le cas, c’est que jusqu’au bout, la logique du scénario est irréprochable. En effet, celui-ci ne comporte pas à proprement parler de failles, si ce n’est qu’il cherche trop à faire du lien entre les personnages. Ce faisant, considérer que cette histoire nous abreuve de coïncidences plus qu’improbables ne serait pas insensé. Mais à la réflexion, hormis quelques détails, le hasard n’a que peu de place dans cette affaire dès lors que la volonté humaine décide de le provoquer. Par ailleurs, on prend plaisir à constater que finalement, chaque séquence, même anodine, finit par prendre tout son sens à un moment donné du récit : un jogging en Corse sous forme de course amusante, un repas détendu à parler du livre que Mody écrit... Quoi qu’il en soit, le sépia disparaît alors presque complètement pour laisser place à la noirceur des nuits cafardeuses dans lesquelles Adrien se laisse petit-à-petit happer et que la photographie parvient efficacement à retranscrire. Dans un autre style, elle touche même au fantasmagorique lors d’une séquence colorée réussie où la réminiscence de souvenirs enfouis prend définitivement forme dans son esprit embrumé. Tous ces éléments réunis, on obtient un récit cohérent qui varie efficacement les ambiances, les lieux et les époques et n’hésite pas à placer les enjeux humains et relationnels au cœur de son histoire.
Nobody’s perfect ?
Malgré ces louanges, ces « papillons noirs » ne sont pas exempts de défauts. Et en premier lieu, si la base de cette sombre histoire repose sur un amour dévorant, son rendu ne parvient jamais à nous restituer la force des émotions qu’Albert et Solange sont censés éprouver l’un pour l’autre. C’est tout de même dommage. Au final, leurs exactions semblent plus relever du trouble psychiatrique que des conséquences de sentiments passionnels et exclusifs. Par ailleurs, la mise en scène manque parfois de simplicité. Ainsi, lors du final, était-il nécessaire de nous dresser à nouveau l’inventaire des crimes commis ? De plus, quelques effets superflus ainsi que l’abus de gros plans sur les visages relèvent parfois d’une recherche d’effets trop appuyés pour être harmonieux. Quant aux fameux papillons noirs, bien malin celui qui oserait en tirer une interprétation crédible au vue de ce qui nous est raconté…
Questions bonus
Enfin, impossible de terminer cette chronique sans évoquer les quelques axes réflexifs très intéressants que la série propose. En effet, l’humain a une tendance naturelle à reproduire ce qu’il a connu enfant. Ainsi, avoir été frappé par ses parents augmente la possibilité de réitérer ce schéma de violence sur son entourage à l’âge adulte. Mais ce qui est original, c’est que cette notion est ici étayée par une hypothèse scientifique (l’épigénétique) qui se penche sur la possibilité de transmission héréditaire de caractères génétiques dont l’expression se voit déclenchée par notre environnement. Ainsi, si celui-ci nous amène à développer certains traits de personnalité, a-t-on vocation à les transmettre à notre descendance ? Même la religion s’invite au débat au travers d’une citation de l’Ancien Testament qui, selon interprétation, privilégie (ou non) le pouvoir du libre arbitre sur nos actions au dépens du milieu dont on est issu. Par ailleurs, la série interroge également sur la finalité d’une œuvre artistique. Jusqu’à quel point un auteur peut-il déontologiquement travestir la réalité des faits au profit d’une bonne histoire ? De notre côté, les destinataires à qui on s’adresse, sommes-nous autorisés à totalement mettre de côté ces considérations ? A travers ces interrogations, « les papillons noirs » dépassent le cadre du simple polar, ce qui est tout à son honneur !
Disponible sur Netflix
Idée lecture : Parmi les auteurs qui aiment raconter la vie de leurs semblables en y glissant une part d’eux-mêmes, Emmanuel Carrère est sans doute l’un des plus talentueux. L’occasion de (re)découvrir certaines de ses œuvres dont l’une de ses plus émouvantes : « D’autres vies que la mienne ». Il y raconte parallèlement l’impact causé par la perte d’un enfant sur ses parents lors du tsunami de 2004 en Thaïlande et les combats d’une juge atteinte d’un cancer. Bouleversant.
Cette chronique et bien d'autres ici https://seriephiledudimanche.jimdofree.com/2022/11/05/les-papillons-noirs/
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Créée
le 11 nov. 2022
Critique lue 22 fois
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