Synopsis : Les Vampires, une société secrète, terrorise Paris en multipliant enlèvements, vols et assassinats. La police est dépassée et seul le journaliste Guérande, aidé de Mazamette, tente de mettre hors d'état de nuire ces dangereux criminels.
Alors que la maison de production Pathé commence à s’élargir, Gaumont décide de rétorquer via le génie Louis Feuillade qui va créer les premiers serials dès le début du XXe siècle. Car, on l’avait bien compris, le cinéma est une affaire de business et Léon Gaumont ainsi que Charles Pathé l’ont bien compris. À eux deux, ils vont gouverner la majorité du cinéma français des années 10-20 et une rivalité logique va s’installer.
Alors que Pathé annonce le film à épisodes Les Mystères de New-York, Louis Feuillade va répondre par cette série emblématique qu’est Les Vampires. Le réalisateur avait déjà fait ses preuves une année plus tôt avec sa série Fantômas et rempile un grand succès avec sa nouvelle œuvre. À l’inverse de sa série précédente, Les Vampires forme un tout. Dès lors, le mode de fonctionnement est différent et tourne autour de quelques procédés tels que : des évasions, meurtres élaborés, etc. De plus, le titre de l’épisode met en exergue certains éléments décisifs de la narration pour inciter le spectateur à le regarder.
Cette nouveauté de films dépendants les uns des autres provoquent une certaine linéarité mais pas toujours celle que l’on croit. Bien qu’au début de la série on suit le point de vue du héros (Philippe Guérande) il s’avérera que la tendance va basculer dans les derniers épisodes ! En effet, on abolira une barrière morale pour montrer le quotidien des malfrats, dont notamment Musidora qui deviendra l’une des premières femmes du cinéma ! Concernant les héros, à savoir Philippe Guérande et Mazamette, Louis Feuillade nous les présente comme un duo complémentaire sous une fine couche de symbolique sociétale ! En effet, le spectateur vacille entre un reporter, enquêteur confirmé et attaché à la police grâce à son sens de la justice et sa logique implacable et un homme d’une couche inférieure, cherchant du travail et devant nourrir son gamin. Cette comparaison est évidente pour l’époque, ainsi que la notion d’auto-justice et de manichéisme. Rappelons que Mazamette était l’un des Vampires avant de rallier la loi.
La société de production Gaumont, ainsi que Feuillade, allaient être accusés de faire l’apologie du crime avec cette série, depuis la vision fascinée d’un « Vampire » masqué qui échappait à la police en marchant lentement sur les toits de Paris. Apologie, non, mais véritable fascination, oui ! La présentation du crime dans les films de Feuillade doit tout à une volonté innovante de synthétiser l’image du mal à travers des vignettes fortes qui ne sont pas réduites qu’à des concepts vagues. Une certaine idée de la liberté de faire ce qu’on n’a pas le droit de faire semble bien être ce qui différencie l’homme droit, vertueux et honnête qu’est Philippe Guérande et le Vampire.
Produit en pleine guerre, Les Vampires était sans aucun doute considéré comme un film économique pour la Gaumont. D'une certaine manière, il représente une régression pour Feuillade. Il a aussi pu y développer un style propre qui a eu une influence considérable sur d’autres cinéastes. Le côté "gratuit" des films a par ailleurs séduit les surréalistes et a beaucoup fait aussi pour la pérennité des Vampires. Il aurait sans doute été de mauvais augure de tout faire reposer sur un moment de suspense qui aurait certes mis tout le monde en haleine, mais pour Feuillade, il devait être important de pouvoir retomber sur ses jambes à chaque fin d’épisode... L’improvisation a parfois été la règle, et certaines traces en restent dans le côté arbitraire de certains coups de théâtre. Les différents changements de "patron" des Vampires sentent eux aussi l’improvisation, ou une façon de rappeler à l’ordre les acteurs qui se sentiraient pousser trop d’importance. Par contre, lorsque la réaction du public à la présence de Musidora et ses collants noirs s’est avérée plus que positive, l’actrice a vu son rôle gonfler en proportion, jusqu’à devenir l’emblème de la série, voire son fil rouge.
Face à la guerre qui sévit partout en Europe, Les Vampires avait pour fonction de divertir les spectateurs mais également de dénoncer que l’honnêteté et la justice triomphe toujours du mal, bien que la limite soit mince. En effet, Feuillade démontre que les procédés des Vampires sont infâmes mais que les autorités peuvent produire le même procédé quand il s’agit de se « défendre ».
Les Vampires a sans aucun doute révolutionné, voire recréé le cinéma de genre en France, et pas seulement. Feuillade a libéré par ces 10 petits films un cinéma assez conservateur de ses réserves dans la peinture du crime en action. Le film à épisodes a aussi contribué à capter de façon sûre l’esprit d’une époque. En attendant, Les Vampires est un authentique chef-d’œuvre, né par hasard d’une volonté de faire du cinéma au rabais... On aurait envie de dire que c’est raté, tellement la supériorité de ce film à épisodes sur tant de ses contemporains est évidente.