Deux ans après son superbe (et désormais culte) Week-end, il devenait nécessaire de suivre de près la carrière d’Andrew Haigh (on attend pour novembre son prometteur 45 years, reparti du festival de Berlin avec un double prix d’interprétation pour Charlotte Rampling et Tom Courtenay). Conforté par le succès critique de Week-end, Haigh s’en est allé de l’autre côté de l’Atlantique pour produire, écrire et mettre en scène une nouvelle série HBO créée par Michael Lannan, la bien-nommée Looking. Soit la vie, les amours et les emmerdes de trois potes à San Francisco à l’heure de Facebook, des applications de drague et du Sida.
On a beaucoup reproché à Looking son tempo paresseux et de ne pas raconter grand-chose, voire de ne rien raconter du tout, quand c’est précisément dans ce "rien", dans ces petits détails et ces tranches de vie quasi anecdotiques, que vient se nicher toute la force d’écriture et de réalisme de la série, loin des carcans télévisuels actuels (cliffhangers incessants, rythme infernal, intrigues bâclées, rebondissements inévitables…) ou de l’exubérance de Queer as folk US qui flirtait parfois, souvent, avec la caricature et la gaudriole tape-à-l’œil. Cette finesse dans les dialogues, dans la mise en scène et la qualité du jeu des acteurs, qui fait toute la beauté et toute l’exigence de Week-end, se retrouve évidemment dans Looking au fil d’épisodes toujours enlevés, toujours drôles, toujours justes.
Plus étonnant encore, les trois personnages principaux, pas spécialement sympathiques au premier abord (Patrick, boy next door banal et presque énervant, Dom, serveur quadra, loser et moustachu, et Agustín, artiste en déroute et méprisant), parviennent pourtant à nous surprendre malgré leurs défauts et leurs (nombreuses) maladresses, personnages jamais lisses, jamais exemplaires, ne serait-ce au moins romanesques, mais tout simplement ordinaires comme ceux que l’on côtoie chaque jour, révélés dans toute leur faillibilité, désarmants et chiants, bancals et multiples. Comme eux, comme nous, comme les autres.
Et puis il y a San Francisco bien sûr, belle et démythifiée, jamais vantée comme s’y appliquerait un dépliant touristique. Il y a ses tramways bien sûr et la brume autour du Golden Gate Bridge, il y a ses rues en pente, ses façades victoriennes, et puis il y a Castro. Si donc il fallait obligatoirement reprocher quelque chose à Looking, ce serait davantage dans la "segmentation" de la série qui se concentre un peu trop sur Patrick et sa valse-hésitation entre Kevin et Richie, au détriment de Dom et d’Agustín, ou même de Doris (c’est principalement le cas dans la saison 2, même si Doris y devient un personnage plus substantiel et hérite d’un épisode poignant centré autour de la mort de son père).
Son format court (18 épisodes seulement, de 25 minutes environ) contrarie également un développement idéal, pas totalement achevé, des différents enjeux et protagonistes. Annulée (mais un téléfilm promis en guise de dernier chapitre pour clore les intrigues), Looking restera une parenthèse furtive et magique dans les grandeurs d’HBO, toute aveuglée et obnubilée par le succès monstre de Game of thrones. Il restera le pétage de plombs de Patrick lors d’une soirée d’Halloween, la danse hilarante de Kevin sur le Do what you like de Take that, la fête d’anniversaire de Dom, la balade amoureuse de Patrick et Richie, Dom et Doris qui se déchirent, la relation entre Agustín et Eddie (la vraie surprise de la saison 2, un big bear séropo, facétieux et attachant)…
Il restera surtout, au cœur du premier épisode de la saison 2, une scène extraordinaire et euphorique (la plus belle sans doute de Looking), travelling allant et venant, dans un élégant ralenti, dans une soirée féérique au milieu des bois pleine de groove, de joie et d’insouciance sur un remix fabuleux du Lost in music des Sisters Sledge. Ah oui, un dernier détail, mais a priori on s’en fout : Patrick, Dom et Agustín sont gays. On s’en fout parce que leurs histoires (galère de boulot, tumulte des sentiments, routine du quotidien, envie de se sentir bien, d’être heureux enfin…), au-delà des préjugés et de leur sexualité, sont un peu les nôtres.
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