Looking
7
Looking

Série HBO (2014)

Voir la série

Deux ans après son superbe (et désormais culte) Week-end, il devenait nécessaire de suivre de près la carrière d’Andrew Haigh (on attend pour novembre son prometteur 45 years, reparti du festival de Berlin avec un double prix d’interprétation pour Charlotte Rampling et Tom Courtenay). Conforté par le succès critique de Week-end, Haigh s’en est allé de l’autre côté de l’Atlantique pour produire, écrire et mettre en scène une nouvelle série HBO créée par Michael Lannan, la bien-nommée Looking. Soit la vie, les amours et les emmerdes de trois potes à San Francisco à l’heure de Facebook, des applications de drague et du Sida.


On a beaucoup reproché à Looking son tempo paresseux et de ne pas raconter grand-chose, voire de ne rien raconter du tout, quand c’est précisément dans ce "rien", dans ces petits détails et ces tranches de vie quasi anecdotiques, que vient se nicher toute la force d’écriture et de réalisme de la série, loin des carcans télévisuels actuels (cliffhangers incessants, rythme infernal, intrigues bâclées, rebondissements inévitables…) ou de l’exubérance de Queer as folk US qui flirtait parfois, souvent, avec la caricature et la gaudriole tape-à-l’œil. Cette finesse dans les dialogues, dans la mise en scène et la qualité du jeu des acteurs, qui fait toute la beauté et toute l’exigence de Week-end, se retrouve évidemment dans Looking au fil d’épisodes toujours enlevés, toujours drôles, toujours justes.


Plus étonnant encore, les trois personnages principaux, pas spécialement sympathiques au premier abord (Patrick, boy next door banal et presque énervant, Dom, serveur quadra, loser et moustachu, et Agustín, artiste en déroute et méprisant), parviennent pourtant à nous surprendre malgré leurs défauts et leurs (nombreuses) maladresses, personnages jamais lisses, jamais exemplaires, ne serait-ce au moins romanesques, mais tout simplement ordinaires comme ceux que l’on côtoie chaque jour, révélés dans toute leur faillibilité, désarmants et chiants, bancals et multiples. Comme eux, comme nous, comme les autres.


Et puis il y a San Francisco bien sûr, belle et démythifiée, jamais vantée comme s’y appliquerait un dépliant touristique. Il y a ses tramways bien sûr et la brume autour du Golden Gate Bridge, il y a ses rues en pente, ses façades victoriennes, et puis il y a Castro. Si donc il fallait obligatoirement reprocher quelque chose à Looking, ce serait davantage dans la "segmentation" de la série qui se concentre un peu trop sur Patrick et sa valse-hésitation entre Kevin et Richie, au détriment de Dom et d’Agustín, ou même de Doris (c’est principalement le cas dans la saison 2, même si Doris y devient un personnage plus substantiel et hérite d’un épisode poignant centré autour de la mort de son père).


Son format court (18 épisodes seulement, de 25 minutes environ) contrarie également un développement idéal, pas totalement achevé, des différents enjeux et protagonistes. Annulée (mais un téléfilm promis en guise de dernier chapitre pour clore les intrigues), Looking restera une parenthèse furtive et magique dans les grandeurs d’HBO, toute aveuglée et obnubilée par le succès monstre de Game of thrones. Il restera le pétage de plombs de Patrick lors d’une soirée d’Halloween, la danse hilarante de Kevin sur le Do what you like de Take that, la fête d’anniversaire de Dom, la balade amoureuse de Patrick et Richie, Dom et Doris qui se déchirent, la relation entre Agustín et Eddie (la vraie surprise de la saison 2, un big bear séropo, facétieux et attachant)…


Il restera surtout, au cœur du premier épisode de la saison 2, une scène extraordinaire et euphorique (la plus belle sans doute de Looking), travelling allant et venant, dans un élégant ralenti, dans une soirée féérique au milieu des bois pleine de groove, de joie et d’insouciance sur un remix fabuleux du Lost in music des Sisters Sledge. Ah oui, un dernier détail, mais a priori on s’en fout : Patrick, Dom et Agustín sont gays. On s’en fout parce que leurs histoires (galère de boulot, tumulte des sentiments, routine du quotidien, envie de se sentir bien, d’être heureux enfin…), au-delà des préjugés et de leur sexualité, sont un peu les nôtres.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 Séries

Créée

le 17 avr. 2015

Critique lue 568 fois

7 j'aime

4 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 568 fois

7
4

D'autres avis sur Looking

Looking
Vivienn
7

« I don't know if either of us are very good at being who we think we are. »

Saison 1 San Francisco, la communauté homosexuelle, de nos jours. On pense à Queer as Folk, mais la nouvelle série HBO, aussi comparée à Girls, est pourtant bien différente de ces (honorables)...

le 11 janv. 2015

16 j'aime

9

Looking
Kerkeva
8

Looking - critique du pilote

Aujourd'hui, parlons sexualité. Mais pas n'importe quel type de sexualité. Nous allons rentrer dans un univers peu observé sur les écrans, un univers qui divisent les foules. Bienvenue dans le monde...

le 20 janv. 2014

15 j'aime

1

Looking
Philippe_Delaco
7

Docks of the Bay...

Trois amis, à San Francisco. Leurs histoires de cul, de cœur, leurs histoires d'amitié, et professionnelles. Leurs histoires quoi. Il se trouve qu'ils sont homosexuels. Comme un détail. Parce que...

le 4 avr. 2014

9 j'aime

1

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25