Cinq années séparent Extras, lancée en 2005, et Louie, diffusée à partir de 2010. Les deux séries ont en commun de décrire le quotidien tumultueux, piqué de désenchantement, d'un artiste raté. Invariablement flanqué de son amie Maggie, Andy Millman, campé par Ricky Gervais, enchaîne au cinéma les rôles de figurant dépourvu de dialogues. Il aspire aux strass et paillettes, mais reste désespérément cantonné à l'anonymat. Un peu comme si les feux de la rampe s'échinaient à calciner ses rêves de succès. Louie, père de famille fraîchement divorcé, occupe quant à lui une modeste scène de stand-up à New York, dans une sorte d'autofiction renvoyant au parcours de Louis C.K., qui écrit et dirige Louie en plus d'y jouer. Les deux antihéros, tout en papier de soie et moues contrariées, ont l'étoffe de ces quadragénaires déjà usés et désabusés, pour qui les fâcheries semblent se poser en seconde nature. Ils incarnent une forme sacralisée du loser, telle qu'on peut parfois l'apercevoir chez les frères Coen : plus ils s'engoncent dans l'échec et la résignation, plus le spectateur s'identifie et s'attache à eux. Ils sont en quelque sorte les plus compétitifs du cimetière social et professionnel – tout en se montrant plus narquois que naïf quant à leur propre situation.
Quand Ricky Gervais et Stephen Merchant ont créé Extras, ils avaient dans l'idée de porter un regard ironique sur le septième art, à travers les mésaventures d'Andy Millman, mais aussi grâce au concours de quelques invités prestigieux généreusement tournés en dérision. Le premier épisode fait par exemple de Ben Stiller un metteur en scène faussement engagé, mais réellement vaniteux, hypocrite, insensible et opportuniste. Plus tard, c'est Kate Winslet qui avouera que jouer dans un film portant sur l'Holocauste constitue une voie royale vers un Oscar. Avant que Chris Martin, le leader de Coldplay, ne montre qu'il vit sa vie comme une interminable tournée promotionnelle. Moins concerné, Louis C.K. aborde essentiellement le cinéma à la marge – par exemple à travers un tournage catastrophique –, mais insère en revanche dans son show des sketchs révélant par bribes la personnalité de Louie. Il y est question de sa vie personnelle, de son rôle de père, du plaisir solitaire ou encore des femmes. Dans les deux cas, les expériences professionnelles, nombreuses et souvent peu engageantes, donnent lieu à des séquences comiques d'excellente cuvée. Elles permettent aussi d'habiller plus encore les personnages : Andy peut se sentir grandi en se frottant à un comédien se donnant des airs mégalomaniaques à cause d'un complexe d'infériorité ; Louie s'ouvre davantage en blaguant devant une assemblée d'inconnus qu'il ne le fait chez un psy aux conversations insensées.
Pendant que Louie se prépare assidûment en vue de décrocher un talk-show sur CBS, l'« artiste d'arrière-plan » Andy se met au théâtre et crée sa propre série. Le premier est utilisé dans l'espoir exclusif de faire baisser le salaire de David Letterman, tandis que le second campe sans la moindre assurance un homosexuel dans une pièce dirigée par Sir Ian McKellen et voit la presse, particulièrement mordante, railler chaque jour un peu plus son nouveau projet télévisuel. Le pathétique est ainsi régulièrement dénudé jusqu'à l'os. Louie est menacé dans un snack par des adolescents, suit sans succès une caissière de supermarché jusque chez elle, fait un malaise après quelques exercices dans une salle de sport, refuse stupidement les avances de la femme qu'il aime, nourrit l'ambition folle d'acheter une maison de 17 millions de dollars sans fonds propres, s'en va défendre la masturbation sur un plateau télévisé et jalouse piteusement la réussite de ses rares amis. Andy s'en sort à peine mieux. Dans un premier temps, c'est tout juste s'il parvient à placer un bras ou un pied dans le champ d'une caméra. Il subit au quotidien l'effroyable incompétence de son agent, qui le méprise avec constance et sans gêne. Même sa nomination aux BAFTA, intervenant plus tard, à la suite du succès d'audience de sa série, tourne au fiasco quand, en plus d'être privé de statuette et à jamais radié de la cérémonie, une ex-petite amie primée s'épanche à son sujet sur scène, informant notamment le public qu'il n'a perdu sa virginité... qu'à 28 ans.
Sur le marché dérégulé du flirt, Louie et Andy s'investissent beaucoup, et généralement en pure perte. Libres et sensibles aux charmes féminins, ils n'hésitent pas à monter au front, multipliant des tentatives d'approche tellement peu opportunes qu'elles font souvent l'effet d'une benne à ordures qu'on aurait déchargée en plein milieu d'un pique-nique. Louie est d'ailleurs grand clerc dans l'art de la maladresse. Depuis son divorce, il essuie refus, blâmes et brocards. Il flirtera même brièvement avec une « grosse » et une Hongroise non anglophone de passage à New York. Il demeure tellement seul et frappé par la routine que c'est à peine s'il sait quoi faire quand la babysitter vient garder ses filles... Cela pourrait-il expliquer qu'il manifeste une amitié des plus ambiguës à un jeune sauveteur lors d'un séjour en Floride ? Ces considérations mises à part, la comédie reste l'alpha et l'oméga des deux séries. En ce qui concerne Extras, pour s'en convaincre, il suffira de se remémorer toutes les fois où Maggie met involontairement les pieds dans le plat, l'improbable et hilarant test du racisme ou les savoureux caprices auto-parodiques des invités. Pour Louie, on songera à l'ouverture chaotique d'un dîner de charité, à la visite d'une exposition d'art contemporain, aux urgences intestinales, au chauffeur importun ou au repas des parents d'élèves et aux événements corollaires... Comme l'échec, l'humour est immanent aux deux séries. Dispensé dans une tonalité où l'angoisse existentielle finit souvent par céder à la légèreté, il constitue une sorte de centre absolu vers lequel convergent des enjeux introspectifs, familiaux, relationnels ou professionnels.