Marble Hornets
7.1
Marble Hornets

Websérie YouTube (2009)

(Comme tout le monde, remerciement préalable à Pipomantis et à sa critique sans laquelle je n'aurais pas découvert Marble Hornets)


Je ne me croyais pourtant pas une lopette.


Je rigolole devant l'Exorciste en me tapant les cuisses, je souris comme un idiot joyeux pendant la projection de [Rec] en entendant les hurlements de mes voisines, je m'avale nonchalamment des Thema sur Arte consacrés au terrorisme biologique ou à la sûreté alimentaire comme je pourrais regarder une émission de recettes de cuisine, bref, c'est pas ta série de merde tournée avec un téléphone portable qui va me traumatismer.


Garçon, avais-je tort.


Il faut croire que Marble Hornets tape exactement pile poil dans les 3/4 endroits bien mous de mon système de défense, parce que ça fait un effet boeuf. Ou alors la série s'adresse précisément à ceux qui ont une énorme imagination, ce qui est mon cas, et qui convertiront tous les moments "on ne voit rien" (parce qu'au final on ne voit pas grand chose de concret) par du "OMG j'ai vu le truc le plus flippant de ma vie".


Marble Hornets, c'est un peu l'accident heureux : deux gamins sur un forum - parce qu'ils ne sont pas bien vieux - qui décident de s'approprier le "mythe" du Slender Man pour en faire un vidéo blog flippant. Deux étudiants qui, par on ne sait quel miracle, ont à peu près tout pigé à ce qui fait peur, vraiment peur, alors que la plupart des studios de cinémas actuels semblent enfermés dans une boucle absurde où n'existent que torture porn, jump scares bruyants, et remakes appauvris. A force de prendre les teenagers pour des abrutis, il faut croire que l'industrie a perdu de vue les vraies terreurs de ses consommateurs.


Marble Hornets pourrait être décrit assez grossièrement comme une déclinaison 2.0 de Blair Witch/Cannibal Holocaust (pour l'aspect docu, pas pour les cannibales dégueux), un trip horreur lo-fi sur fond de légende urbaine, où ce qu'on ne sait pas est en fait dix fois plus terrifiant que ce que l'on sait ou que l'on voit. C'est là toute l'efficacité du projet, qui joue sur l'attente de l'horreur plus que sur l'horreur elle-même. Les quelques manifestations physiques n'en sont que plus frappantes, puisque distillées le long d'entrées vidéos totalement anodines en apparence.


Ici, on ne voit rien. Et puis là il n'y a pas de son. Ici, un mec cadré sur les genoux, qui trie des papiers. Là, ça n'est pas palpitant, un gars chez lui, le soir, qui se lève soudainement comme s'il avait entendu quelque chose. Probablement trois fois rien. Un mouvement de caméra brusque, une fraction de plan durant laquelle on croit discerner quelque chose. Merde, c'était quoi ce truc ?


Evidemment, a bien y regarder, rien n'est gratuit, et cette longue silhouette furtive que vous aviez ratée lors de la première vision vous terrorisera d'autant plus la seconde qu'elle était là tout ce temps, sous votre nez.


Marble Hornets, c'est l'appropriation assez géniale du médium Youtube. Une longue chronique vidéo découpée en plusieurs entrées, présentées semble-t-il sans logique cohérente. Puis l'arrivée de messages vidéos supplémentaires, venant aggraver la narration avec leurs délires cryptiques qui rajoutent pile ce qu'il faut de confusion à la trouille généralisée, au point que chaque distorsion audio ou drop de l'image finit par stresser les sphincters.


Enfin, il y a le Slender Man, cette créature humanoïde longiligne et sans visage, qui se tapit dans le noir, vient s'incruster chez vous pendant votre sommeil, pour, comme le dit l'une des entrées de totheark "encercler votre lit". Une vigile silencieuse de l'horreur se dissimulant dans la brume hivernale ou derrière les troncs dénudés d'une forêt au crépuscule, toujours en arrière plan, quasiment hors champ. Un monstre anonyme qui, comme le "Ca" de Stephen King, prend un peu la forme de vos pires angoisses.


Le Slender Man, il va sans dire, n'existe pas plus que le Dahut ou la Fée Clochette : il est né et a grandi sur un forum, sur Internet, ce grand inconscient collectif mondial où les conspirations et autres légendes urbaines ont toute latitude pour s'exprimer. Et le premier réflexe est évidemment de vouloir en savoir plus, de surfer sur la toile, à la recherche d'indices, à lire des entrées Wikipedia, des théories fumeuses, des posts de gens persuadés que le Slender Man existe. C'est sans doute le trait de génie des deux créateurs de Marble Hornets que d'avoir su transformer le "meme" en oeuvre à la fois extrêmement anodine (production value proche de zéro, mode de diffusion assez peu glamour) et pourtant génialement ancrée dans son époque. Coppola avait raison, ce con : le règne des "home movies" est bien arrivé, et avec lui son lot d'initiatives brillantes.


Alors oui, il faut se laisser prendre au jeu, ne pas jouer les gros connards blasés "j'ai peur de rien ma caille tkt je gère" (sinon ça ne marchera pas, garanti), ni être réfractaire à la fois au mode de diffusion, et aux résonances très modernes d'un projet qui a tout compris à ce que proposent les plates-formes de diffusion vidéo, les réseaux sociaux, bref, le Web "2.0", comme on l'appelle. Marble Hornets n'est certainement pas la première ni la dernière oeuvre à les utiliser ainsi, mais avec une telle efficacité, chapeau.


Etant de ceux qui trouvaient complètement génial le mode de promotion de films comme Blair Witch, avec ce pré-ARG géant qui nous a tenu en haleine et bien fait délirer à l'époque, je ne pouvais que souscrire au projet Marble Hornets, et plonger dedans la tête la première. Je ne savais pas qu'il aurait un tel effet sur moi, en tout cas qu'il toucherait à ce point un nerf que je pensais endormi depuis des années. Depuis les Documents Interdits de Jean-Teddy Philippe, oeuvre hélas très méconnue qui mériterait bien d'être étudiée dans les écoles, non seulement pour sa force de dénonciation du pouvoir des images (et croyez-moi, en ces temps de télé poubelle, c'est vraiment indispensable), mais aussi pour sa puissance évocatrice. Ou comment faire peur avec rien, mais vraiment rien, en suggérant, en soufflant des hypothèses, et en se contentant de montrer des ombres, des silhouettes masquées, ou des créatures indiscernables.


A bien y réfléchir, en fait, non Pipomantis : mon sommeil ne te remercie pas.

Prodigy
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le 11 sept. 2010

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Prodigy

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