La mise en chantier de The Defenders en parallèle du MCU a été un certain soulagement et une véritable bénédiction pour les fans de Marvel : proposées sur Netflix, les cinq séries qui composent cette saga télévisuelle (Daredevil, AKA Jessica Jones, Luke Cage, Iron Fist et enfin The Defenders – qui les réunira tous) ont en effet l’avantage de disposer d’un budget imposant – 200 millions de dollars – et de la possibilité de s’affranchir des codes visuels et narratifs de Avengers. Malgré cette relative indépendance, c’est bel et bien la team Whedon que l’on retrouve à l’écriture de ce premier chapitre : Drew Goddard tout d’abord, qui a pourtant abandonné son poste pour se concentrer sur ses projets chez l’Homme Araignée, remplacé au pied levé par Steven S. DeKnight, scénariste pilier de l’épopée Buffy, refugié pendant quelques années chez Starz avec son Spartacus.
Impossible de renier cette origine créative : dans son écriture, Daredevil hérite énormément des premiers succès de Whedon. Ses qualités et ses défauts, une pincée de talent en moins, mais surtout plus d’une décennie dans l’aile. Daredevil sonne vieux, ses lignes de dialogues semblent tout droit sorties d’un show kitsch des années 90, ses effets scénaristiques ressemblent à une mauvaise série B et toutes ses mécaniques sont caricaturales ou, au mieux, prévisibles. Certaines scènes d’action sont mal construites – principalement en fin de saison – souffrant d’ellipses mal placées et d’une mise en scène répétitive, certains raccourcis pour faciliter leur fluidité finissent aussi par entrer en conflit avec le personnage de Daredevil et sa cécité : voir par exemple un aveugle faire un parkour sur des toits d’immeubles n’a rien de très cohérent, car même si ses sens sont très développés – admettons – il ne possède pas non plus un radar intégré. Le plus désolant étant que toute la galerie de personnages présentée au cours de ces treize épisodes est très superficielle, et quand il n’y a pas un Charlie Cox, un Scott Glenn ou un Vincent D’Onofrio pour leur donner un peu d’épaisseur et une grosse dose de charisme, ils deviennent fatalement agaçants.
Mais Daredevil ce n’est (heureusement) pas qu’une histoire, et il serait dommage de s’arrêter aux défauts visibles de la nouvelle création Netflix. Déjà parce que si on regarde au-delà des figures insupportables de Foggy et de Karen, on peut voir se dessiner une réflexion perturbante sur la justice. Une sorte d’ambiguïté morale se met alors très rapidement en place, tandis que le manichéisme d’habitude inhérent aux productions Marvel s’efface au profit d’une déconstruction du mythe du superhéros : ici, notre protagoniste torture, tue, blesse gravement, se venge. Il doit faire face à des décisions difficiles et n’hésite pas à punir le mal de ses propres mains. On pense effectivement alors aux Batman de Nolan, probablement une autre inspiration des scénaristes de la série, qui se retrouve aussi dans le dessin progressif d’un environnement urbain sombre, ténébreux, étouffant et surtout profondément violent. Le sang coule, les os se brisent au rythme de la corruption et des regards détournés. Goddard donne une dimension politique et sociale au monde qu’il décrit, sous forme de thématiques davantage formelles que littéraires, mais peu importe : cette vision est passionnante.
Ce traitement n’aurait pas été aussi accompli sans un minimum de maestria technique : heureuse nouvelle, Daredevil en bénéficie. Entre ses plans-séquences de combats à mains nues dans des couloirs ou des ruelles évoquant Old Boy, sa photographie froide et obscure mettant magnifiquement en valeur son ambiance torturée, ou de nombreux cadres très travaillés dans leur composition, visuellement il n’y a pas grand-chose à reprocher à cette nouvelle mouture de l’un des comics les plus terre-à-terre de Marvel. Car même si certaines scènes d’actions jouent allégrement avec la frontière du too much, on a rarement vu pareils chorégraphies martiales à la télévision.
Il y a un certain écart qualitatif entre la première et la deuxième partie de saison de Daredevil : est-ce la faute du changement de showrunner en cours de développement ? Dans tous les cas, passé l’éblouissement des premiers épisodes, une certaine lassitude s’installe tandis que les réflexions si pertinentes du début s’étiolent et laissent place à un semblant de déjà-vu diégétique. Si on fait l’effort de pardonner à Daredevil ses nombreuses faiblesses, c’est pourtant un divertissement plus qu’honnête que nous propose Netflix. Étonnement pessimiste – au départ en tout cas – épaulée d’une réalisation maîtrisée et d’une ambition qui met au tapis toutes les récentes tentatives cinématographiques de Disney de mettre en image les comics cultes de toute une génération : cette introduction est une petite réussite. Même si le plan de Marvel était initialement de ne produire qu’une saison pour chacun de ces superhéros, on espère sincèrement qu’une saison 2 sera commandée.