Sequence killers
La série est devenue depuis lontemps une œuvre à part entière, et ne se contente plus d’être un divertissement low cost en adéquation avec la médiocrité ambiante du petit écran. Les cinéastes s’y...
le 22 oct. 2017
133 j'aime
26
Voir la série
Parmi les objets de fascinations récurrents dans les œuvres populaires, celui qu'est le serial killer m'a toujours laissé dubitatif. Sujet en soi pas proscrit, celui-ci demeure trop souvent présenté comme un monstre sur lequel jeter un regard mêlé de répugnance et d'admiration. Brillants sociopathes manipulateurs, sur-hommes (les femmes étant à juste titre écartées) aux imperfections menues : il arrive trop souvent qu'à vouloir les présenter, les réalisateurs (ou auteurs, ou que sais-je) tombent dans plusieurs écueils. Celui voyeuriste, visant à glorifier leurs méfaits. Celui de l'idéalisation, dessinant une figure mystérieuse, insondable, transcendante. Celui de la dichotomie bien/mal (avec du surcroît un épanchement sur le second versant...).
Dès ses débuts (gommons avec lui Alien 3), Fincher a fait de ce motif bien particulier un motif récurrent. Le générique de Mindhunter, alternant sur fonds de nappes violoneuses procédure cliniques de mise en place du magnéto et images subliminales de cadavres mutilés, renvoie donc à celui de Seven (et laisse percevoir un goût plus ou moins refoulé pour la violence). Cette approche clinique, froide, chirurgicale (les plans mécaniques, les travelling à la rigueur inhumaine) a toujours fait la patte de Fincher (qui ne réalise ici que les 4 épisodes encerclant la saison 1, mais dont la patte se retrouve même sur les épisodes non réalisées par lui, mais par un cyborg interchangeable). Et si le maladroit Seven montrait une fascination trouble pour le morbide, avec Zodiac, Fincher montrait que sa volonté d'absolue maîtrise (aussi palpable via la documentation pléthorique qui soutenait l'architecture du projet) pouvait laisser la place à une brèche, une spirale tournant à vide, le tueur échappant obstinément à l'obsédé le poursuivant.
Dès la première séquence, Mindhunter posera les bases de la dualité faisant le socle de la série : compréhension du sujet criminel contre incertitude in fine... et se soldera d'ailleurs par un échec prémonitoire. Holden Ford, l'agent d'abord chargé de négociation est le pivot autour duquel s'articule cette première saison 1 : de bon élève candide et perfectionniste, il deviendra arrogant et ce malgré des résultats à minima discutables et des méthodes clairement discutées. Le récit de son aliénation, la façon dont la proximité avec les "tueurs en séquence" le modèlent, font ressortir en miroir en lui certains aspects (libidineux, non empathiques) est l'une des nombreuses réussites de la série. Malgré une évolution psychologique peut-être un peu rapide en fin de saison, cette évolution m'a semblé au final plus convaincante que, citons LE modèle du genre, dans Breaking Bad.
A dire vrai, Mindhunter est sans doute pour moi la plus grosse claque reçue par une série dramatique depuis... True Detective (saison 1, et hormis le dernier épisode, Kozelek-style). Le binôme formé par le jeune premier Ford et le vieux briscard à la fois plus bourru et fragile (humain?) fonctionne ainsi comme autant de manière de voir le monde (pas aussi discordantes que dans True Detective, cela dit). Si le premier cherche plutôt impassiblement la vérité et fait preuve d'une certaine inflexibilité, l'autre renvoie à un pendant à la fois plus maladroit mais plus humain (jouant peut-être comme rappel pour le spectateur et pour éviter de totalement banaliser les crimes les plus déments pour autant). Si on ajoute un troisième point (la professeure de psychologie-sociale), on obtient un triangle équilatéral dont les points vont peu à peu se décentrer.
Contrepied, la méthodologie scientifique et les références psycho-sociales sont ici apportées par des personnages féminins : l'universitaire évoquée, mais aussi l'acerbe petite amie de Ford, étudiante en Sociologie bûcheuse mais délurée, cinglante mais caliente. Si, dans la réalité, les sciences sociales et humaines attirent massivement plutôt des femelles (ce dont j'ai pu attester lors de mon propre parcours, pour induire un petit biais de perception hors de propos), les figures d'autorité intellectuelles dans les œuvres de fiction semblant trop longtemps avoir été accaparées par les mâles. Au delà de cet aparté, ces apports permettent surtout de dépasser les vieilles antiennes : le bien contre le mal voire même le pathologique contre le déviant et le normal (selon que l'on prenne un axe à la Becker, Goffman ou Durkheim). Que ces références soit vulgarisées dans une série aussi grand public - ne nous leurrons pas, elles ne sont que vaguement évoquées, mais c'est déjà beaucoup - s'avère finalement assez galvanisant, surtout que cela ne se fait jamais, à mon sens, au détriment de la forme, diablement accrocheuse.
Bien que j'ai lu à plusieurs reprise le reproche de la "lenteur", je me porte en faux contre cette vile accusation. Sûr que ceux pour qui "l'action" se résume à des courses-poursuite et des fusillades en seront pour leurs frais. Toujours est-il que l'habileté avec laquelle la parole est constamment mise en valeur par la mise en scène me paraît des plus prenantes (pour un cortex particulièrement réceptif au verbe, notamment). Le rythme rappelle presque celui, speedé de Social Network (le film de 2 heures contenant, montre en main, 2 h de dialogues débitées à toute vitesse). Quelque séquence viennent judicieusement rompre cependant ce marathon verbeux (palpitants entretiens avec les criminels, comme autant de variations autour des thèmes de l'autorité - qui la détient vraiment ?-, de la manipulation, de la vérité...). Parfois pour le meilleur
(l'accident de voiture impromptu ou la magistrale séquence finale lors de laquelle Ford se recroqueville à même le sol)
, parfois pour le plus classique. Pas le pire, mais finalement le relativement moins intéressant : quand le binôme aide la police locale à résoudre quelques crime la dépassant totalement.
Reste à souligner l'ambiance 70's (et notamment la B.O radiophonique idéale, entre funk et pop-folk d'époque, notamment en fin d'épisode : "Psycho Killer" des Talking Heads n'a sans doute jamais été aussi bien utilisée qu'à la fin de l'épisode 2, signant le début de la section "profilage").
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Séries, Les meilleures séries de 2019, Les meilleures séries de 2017 et Les meilleures séries des années 2010
Créée
le 13 nov. 2018
Critique lue 203 fois
D'autres avis sur Mindhunter
La série est devenue depuis lontemps une œuvre à part entière, et ne se contente plus d’être un divertissement low cost en adéquation avec la médiocrité ambiante du petit écran. Les cinéastes s’y...
le 22 oct. 2017
133 j'aime
26
La critique de la première saison est suivie de celle de la seconde. On a vu se développer dans le monde de la série assez récemment une certaine mode du genre policier tendant à utiliser comme...
le 15 oct. 2017
94 j'aime
14
Mindhunter, la nouvelle série de David Fincher sur Netflix après House of Cards est encore une fois un petit bijou à l’esthétique hyper léchée et à l'unité de mise en scène bluffante. Après Seven et...
Par
le 15 oct. 2017
44 j'aime
6
Du même critique
Escapade sur la planète Delirius, planète de casinos et de bordels, de secte religieuse purgatrice et de palais impériaux en décrépitudes. Pour une fois, l'histoire est à peu près soignée et...
Par
le 24 sept. 2016
2 j'aime
Très honnêtement, je peine parfois un peu, à titre personnel, à comprendre la fascination d'un certain public pour l'horreur crue : incestueuse, morbide, scatophile... Tout y passe, souvent malaxée,...
Par
le 30 juil. 2021
1 j'aime
Qui cherchera la pétulance d'un Goscinny en sera pour ses frais : le Lucky Luke nouveau aligne bien quelques vannes, de rares et discrets jeux de mot, mais arbore désormais un esprit de sérieux à...
Par
le 22 juil. 2021
1 j'aime