Qui t'as fait du mal ?

Mon petit renne est une mini-série d'une grande intelligence dans son écriture mais également d'une charge psychologique très élevée. Donny est un comédien plutôt médiocre qui gagne sa vie en tant que serveur. Par pitié pour Martha, qui débarque dans son bar un jour, il lui offre un verre. Le malheur apparent de celle-ci et l'attention particulière qu'elle lui témoigne rebooste son ego, malgré dès le départ un ensemble de signaux d'alerte quant à son comportement. Ces attentions vont se faire pressantes et basculer peu à peu dans un harcèlement malsain puis violent.

Là où la série est intelligente, c'est que si cette dernière démarre par le harcèlement de Martha, qui par son côté un peu pitoyable et décalé n'est prise au sérieux par personne, elle effectue à mi-parcours un virage serré pour se recentrer sur Donny. Car si Martha arrive à exercer et l'influence sur lui c'est qu'elle a perçu très rapidement que Donny avait quelque chose de brisé en lui. La série relate alors sans fard l'emprise, les abus, les violences sexuelles et surtout la difficulté extrême de se reconstruire pour Donny et sa proportion à l'autodestruction.

La série est à la fois addictive et pourtant difficile à regarder pour ce qu’elle provoque en nous. Tirée de l'histoire personnelle de son acteur principal, Mon petit renne peut choquer par sa cruauté, ou au contraire être jugé salvateur pour sa capacité à briser des tabous (on peut là également penser au père de Donny, dans une scène d'une très grande sensibilité). De plus la série ne cache pas sa profonde ambiguïté morale ainsi que l'extrême mise à nu émotionnelle de son personnage. Ici il n'y a pas de résolution facile, il n'y a pas de table rase. La série nous confronte à des vérités que l'on n'aime pas forcément entendre, et dans une mise en scène qui fait tout pour augmenter notre malaise.

Richard Gadd prend ici un double risque : s’exposer bien sûr, mais aussi cliver, car il refuse de modifier son histoire pour y ajouter une forme d’universel. Ses choix lui appartiennent, et il choisit d’être sans concession, y compris avec nous. Je salue son refus de donner des leçons, ou de tenter de nous faire croire qu’il a tiré de son traumatisme une épiphanie new age. Mon petit renne est un exutoire, un partage sans doute égoïste, mais sensible et finalement sans jugement à l’emporte-pièce. Et c’est cette radicalité qui fait la force de cette série.