Alors que bon nombre de séries sont produites, ne sont pas renouvelées, tombent dans l’oubli, quelques bijoux sériels sortent du lot de par le soin apporté aux différents aspects de ceux-ci, mais sont dans le même temps trop souvent sous-côtées. Mr. Robot nous montre que les étiquettes « par les producteurs de… », « Marvel présente… », « Star wars continue… » qui sont censées ajouter du prestige à de nouvelles adaptations, histoires, ou spin-off, sont loin d’être essentielles.
Mr Robot aurait pu être une série comme les autres, mais le perfectionnisme, la puissance narrative que cette équipe gagnante actantielle menée tambour battant par Sam Esmail nous oblige à voir au-delà de l’appellation « série » pour parvenir à une qualification plus juste d’un tel travail. Une série sur le milieu et la sémantique du hacking est déjà originale et unique en elle-même, mais les intrigues, les nœuds, les rebondissements et les thématiques abordées font d’elle un travail sériel philosophico-dramatique, qui dépasse certainement le premier visionnage, sur plusieurs strates de la série.
Un opening qui annonce un héros peu commun qui, dès les premières prises, nous convainc de l’hétéroclicité du protagoniste, Rami Malek nous montre d’ailleurs l’une des plus belles et complexes prestations de toute l’histoire du petit écran, qui nous donne donc un aperçu sur une saison 1 qui fait polémique. Les auteurs joue avec le tabou « anonymous » en prenant leur parti et se revendiquant comme tel jusqu’au nom de leur boîte de prod’, et Sam Esmail quant à lui s’amuse à faire une intrigue gorgée de références à outrance, nous offrant paradoxalement, malgré la transcendance de Matrix, V for Vendetta, Fight Club, American Psycho, Trainspotting et j’en passe, une vision originale de la société, du relationnel et du monde de l’entreprise, en passant par une pluralité de thèmes abordée. Engageant dès les premiers de la série un dialogue avec le lecteur, il franchit non seulement le quatrième mur, mais bien plus, comme le montre la suite de la série, je ne spoilerai rien du tout, pas d’inquiétude : Règle no. 1, on ne spoile pas Mr. Robot, du moins pas sans prévenir, il se montre en nouveau Roland Barthes, n’annonçant pas la mort de l’auteur, mais la mort d’un type d’actancialité où auteur, acteur et spectateur se mêlent et à la fois entrent en conflit pour être « au contrôle ».
La performance du réalisateur, des acteurs. La musicalité et l’importance de la caméra [sans spoils]
Mr Robot est une série dramatique terminée en quatre saisons, de 2015 à 2019. Elle est produite et réalisée par Sam Esmail, et porte à l’écran des acteurs de divers horizons, de différents registres, comme Rami Malek, Christian Slater, BD Wong, Michael Christofer, Bobby Cannavale ou encore Joey Bada$$. Cette pluralité et ces contrastes dans les jeux d’acteurs offre des performances incroyables dans des rôles dramatiques aux personnalités complexes. La bande originale de Mac Quayle aux sonorités électroniques est nuancée par des musiques additionnelles diverses et riches de par la signification qu’elles donnent aux scènes-clés. Sam Esmail fait montre d’originalité et d’audace dans les techniques utilisées dans la photographie et le jeu de la caméra, offrant au passage des épisodes spéciaux en eux-mêmes, un réalisé en sitcom, un autre entièrement en plan-séquence, un autre construit en tragédie antique (au sens théâtral du terme), un autre encore sans aucun discours verbal,…
Critique de la société consumériste [sans spoils]
Sam Esmail est à la série ce que Fincher est au cinéma. L’un comme l’autre montrent une vision désabusée et pour le moins réelle cependant, d’une société en perdition, où l’instinct grégaire prime sur la recherche d’un réel accomplissement personnel. Une société consumériste où l’homme est victime du jugement d’autrui H24, du marketing surcommercialisé, où la religion n’est pas innocente paradoxalement. Nous aborderons cet aspect plus tard cependant. Eliott Alderson, cyber-justicier la nuit et employé de bureau le jour, nous montre par son regard atypique et froid, une société qui le rejette de par un non conformisme inhérent à sa nature. Un nouveau Meursault, mais cette fois, un Meursault qui recherche le bonheur, un Etranger en quête de salut, lequel est incarné par une vie normale, rangée, insouciante et donc… pâle et creuse. Cette vie paradoxale que nous vivons tous finalement est invivable pour Eliott qui, dénué de filtres sociaux de par les traumatismes de son enfance, lance une à deux fois par saison, un monologue toujours magistral et violent de par les termes crus qui heurtent les convictions qui nous croyons avoir. Eliott, Tyler Durden 2.0, nous offre une réflexion sur notre propre société, nous montrant ses limites, la corruption qui la gangrène, et mettant en évidence l’absence de réflexion des 99% des 99% des membres de celle-ci.
Vision de la famille et de la figure paternelle [avec spoils]
Attention, on entre ici dans les réels enjeux, abordables seulement avec la totale appréhension de son intrigue, et donc avec les spoils. La dualité Eliott/Mr Robot, abordables comme deux personnalités d’un même être, est beaucoup intéressante dans le sens du relationnel Père/Fils. Cette relation qui transcende, évolue, s’approfondie et se complexifie dans ces quatre saisons, est vraiment un point-clé de la série. Eliott a un relationnel avec sa sœur, son père, sa mère, son moi plus jeune et son alter ego « normal », et cette proximité aussi constructive qu’imaginaire le fait évoluer, et participe activement à sa mélioration tout au long de l’histoire. Mr. Robot, Christian Slater, nous offre par sa prestation un jeu absolument incroyable, montrant tour à tour un ange gardien fictif attachant, badass et protecteur, et un père réel minable, voleur, et pédophile. Là, il ne reste plus grand-chose à spoiler mais bon… on continue. Cette présence du père digne de ce nom qu’il n’a jamais eu, offre des scènes riches en émotions et en réflexion sur notre rapport avec les figures paternelles qui nous entourent.
Critique en creux de la religion [sans spoils]
Une société où la réussite sociale et professionnelle est vue comme une bénédiction est une vision typiquement nordique. Tyrell Wellick est un archétype de cet aryen à qui tout réussit, un protestant modèle idéalisé, beau, intelligent, sportif, marié à un mannequin, et prochain CEO. Sam Esmail s’amuse ici à détourner cette image de symbole béni par Dieu et adoubé par la Société. Il sombre peu à peu dans la déchéance : sa femme et son bébé meurent, il perd son poste, devient un terroriste, perd son assurance à toute épreuve, pour finir mort au milieu d’une forêt dans l’oubli le jour de l’an. On observe également une critique de la religion directement par la bouche d’Eliott, lors d’un de ses monologues qu’il débite au beau milieu d’une séance d’un groupe de parole. Mais ici, mieux vaut vous faire lire la citation directement, elle se suffit à elle-même :
« Eliott, voudrais-tu te confier à nous ?
- Pas question, mon système est en pause
- Dieu peut t’aider.
- C’est ce que fait Dieu ? Il aide ? Alors j’aimerai savoir pourquoi Dieu n’a pas aidé mon ami innocent, mort sans raison, alors que le coupable est en liberté ? Bon, d’accord. Laissons l’exception de côté. Et les innombrables guerres menées en Son nom ? Bon, d’accord. Laissons de côté les meurtres gratuits, d’accord ? Si on parlait plutôt du sexisme, du racisme, de cette soupe de phobies dans laquelle on patauge par Sa faute ? Je ne parle pas que de Jésus. Je parle de toutes les religions institutionnalisées. Des groupes fermés créés afin de gérer le pouvoir. Un dealer qui rend ses clients accros au pouvoir… des fidèles qui ne sont que des addicts qui veulent leur dose de conneries pour maintenir leur taux d’ignorance. Les addicts ont peur de la vérité : il n’y a pas d’ordre. Il n’y a pas de pouvoir. Toutes ces religions ne sont que des vers qui gangrènent notre esprit dans le but de nous diviser. Ainsi, il est plus facile d’être gouverné par les charlatans qui veulent nous diriger. Nous ne sommes que des groupies fans de leur franchise de science-fiction mal écrite. Si je ne dois pas écouter mon ami imaginaire, pourquoi devrais-je écouter le vôtre ? Les gens pensent atteindre le bonheur grâce à la religion… mais c’est ce qui fait de vous ses esclaves. Je ne suis pas assez fou pour croire en cette distorsion de la réalité. J’emmerde Dieu. Ce n’est même pas un assez bon bon bouc émissaire pour moi. »
Réflexion sur l’Identité, la sienne, la nôtre, celle des autres [avec spoils]
Si d’un œil extérieur, le spectateur regarde sans empathie particulière les déboires de la FSociety avec à sa tête Eliott, sûrement le qualifiera-t-il de détraqué, schizo à tendance suicidaire. Mais Eliott, c’est bien plus que ça. Il représente la part que nous avons tous en nous de bordélique, pour faire simple. Cette part de nous qui nous demande parfois de tout laisser tomber, de lâcher toutes les superficialités et tous les artifices de la société individualiste qui nous impose un système de pensée, fait de clichés et d’idées politiques (au sens de sociétal, Polis=Cité) préconçues. Mr. Robot est la quête de l’identité d’Eliott, quête résolue dans les trois derniers épisodes du season finale de la série. Cette série propose en creux une réflexion sur notre identité, et donc sur celle des autres, au moyen du rapport si particulier qu’entretient Eliott avec le reste de ses congénères. Un message profond, un message fort sur la découverte de la conscience de soi, rendue possible uniquement au travers de la présence de l’Autre : « Autrui est le médiateur entre moi et moi-même » dit Sartre. Un fin optimiste, une fin pleine d’espoir, une conclusion qui n’était cependant pas évidente jusqu’au début de la saison 4 (où on assistait à l’apologie de Huis Clos dans le premier épisode, œuvre dont les maîtres-mots sont les suivants : « l’Enfer, c’est les autres. »). Une réflexion sur la Société, ou une critique plus précisément, portant sur ses conséquences néfastes, croise un questionnement de la Réalité, dont les plus féroces attaques sont dans la bouche de Christian Slater est également visible:
« Est-ce-que cela est réel ? Je veux dire, regarde ça. Un monde construit sur la fantaisie. Des émotions synthétiques sous forme de pilules. Une guerre psychologique sous forme de publicités. Des produits chimiques psychotropes sous forme de nourriture. Des séminaires de lavage de cerveau sous forme de médias. Des bulles isolées et contrôlées sous forme de réseaux sociaux. Réel ? Tu veux parler de la réalité ? Nous n’avons vécu dans rien d’aussi lointain depuis le début du siècle. Nous l’avons éteinte, sorti les piles, en grignotant un sachet d’OGM pendant que nous en jetions les restes dans la benne à ordure en constante expansion de la condition humaine. Nous vivons dans dans des maisons de marques déposées par des sociétés construites sur des nombres bipolaires chutant de haut en bas sur des écrans numériques, nous hypnotisant dans le plus grand sommeil que l’humanité ait jamais vu. Tu dois creuser assez profondément pour trouver quoi que ce soit de réel. Nous vivons dans un royaume de conneries. Un royaume dans lequel tu vis depuis trop longtemps. Alors ne me dis pas que je ne suis pas réel. Je suis plus réel que le steak haché de ton Big Mac. »
En un mot, Mr Robot est la série de la décennie 2010. Sûrement l’une de mes séries préférées, une en tout cas que je ne me lasse jamais de voir et de revoir. Merci d’avoir lu cette critique, et adieu l’ami.