Dès son pilote, Mr. Robot apparaît comme une série intrigante et particulièrement originale. Elliott Alderson, protagoniste qui se veut asocial, hacker à ses heures perdues, déambulant dans les rues en rasant les murs, capuche baissée et regard méfiant dirigé vers le sol, propose d'entrée un personnage insolite et solitaire. L'utilisation d'une voix-off pessimiste et erratique, résumant un mode de vie morne, complète ce portrait d'un jeune homme déboussolé, suscitant des interrogations intéressantes. Pourquoi hacke-t-il ? Par plaisir ? Par réaction à ce monde décharné qu'il semble subir ? Le fait que le spectateur soit directement immergé dans la peau de ce personnage à la fois mélancolique, étrange et attachant participe énormément à nous ancrer dans le ton anarchiste, complotiste voire paranoïaque de la série. Car effectivement, à l'instar de Fight Club, dont on retrouve plusieurs fois l'influence, Mr. Robot est une série qui se veut troublante, dessinant comme de plus en plus d'oeuvre un portrait bien sombre de notre ère dévorée par la technologie.
La rencontre avec Mr. Robot, le personnage éponyme, est définitivement une plaque tournante pour Elliott Alderson, qui se verra alors en possession d'un pouvoir, en terme de hacking, qu'il n'avait encore jamais eu jusqu'ici. Un pouvoir sûrement enivrant, puisqu'il décidera, avec l'aide de Mr. Robot, de se jeter à l'assaut d'E-Corp, une multinationale haï par Elliott au point qu'il entende Evil-Corp lorsque le nom de l'entreprise est prononcé. Mr. Robot, c'est donc d'abord une série dans laquelle l'on donne à un homme la possibilité de se révolter contre un système haï, ou non désiré; c'est le début d'une quête, d'une révolution, qui a pour but, selon les propres dires d'Elliott, de "sauver le monde".
L'attachement que l'on a pour cette série, son scénario, son univers: tout gravite autour d'Elliott Alderson dans Mr. Robot. Et même si l'écriture du personnage n'est pas étrangère à cela, c'est surtout le jeu de Rami Malek, qui l'incarne à l'écran, qui rend le personnage plus fort émotionnellement et plus crédible que jamais. Le reste du casting, moins présent, est forcément éclipsé par une telle performance mais demeure honnête et convainquant (on retiendra Christian Slater, qui joue Mr. Robot, et Portia Doubleday, qui incarne la ravissante Angela).
En ce qui concerne la deuxième saison, si je ne mets pas 9 comme pour la première saison, c'est que la première partie de cette deuxième saison met énormément de temps à démarrer, notamment pour préparer un twist énorme. On pourra d'ailleurs reprocher à la série de trop en faire - trop de twists, tout le temps - voire sa focalisation sur la relation Elliott/Mr. Robot, mais cette dernière gagne tellement en puissance au fur et à mesure de la saison qu'on ne peut que saluer la manière dont Sam Esmail mène son bateau. Un bateau particulièrement beau, d'ailleurs, doté d'une technique presque unique dans le paysage télévisuel depuis Breaking Bad ou, plus récemment, Game of Thrones ou Utopia. Pour apprécier cette seconde saison, il faut se laisser porter par celle-ci, se faire passif, quitte à rentrer complètement dans la peau de Mr. Robot, qui en sait toujours moins que les autres personnages. A propos des autres personnages, on repassera sur l'intrigue d'Angela, parfois décousue et floue, même si celle de Darlene ou celle de la femme de Tyrell sont tout à fait honorables. Mr. Robot continue également à étonner par une bande-son magistrale, entre électro, techno et pop qui sert scènes quotidiennes comme instants de tensions.
Je reprocherais une dernière chose à la série: celle d'ouvrir trop de pistes. La multiplicité des interprétations possibles rendue par Elliott est telle qu'il devient difficile au pire de s'intéresser à la série et de s'attacher à ses personnages, au mieux à fournir au spectateur, à terme, un fouillis de plus en plus grossier qui viendrait ruiner les efforts scénaristiques et techniques, et où le poids des enjeux se perdrait.
Mr. Robot demeure une série qui ne cessera jamais de gagner de l'envergure, à travers une narration parfaitement maîtrisée par Sam Esmail, son réalisateur jusqu'ici méconnu. Au-delà de l'étiquette de "la série de l'année", que la série mérite amplement, tant elle étonne et se démarque des autres par son scénario, ses acteurs et ses personnages, on pourrait également lui attribuer celle de "série surprise": sortant d'un network méconnu, mettant en scène des acteurs qui le sont tout autant, Mr. Robot est inattendu, et la découverte d'une telle perle en est d'autant plus magnifiée. On ne pourra lui reprocher que quelques accès de grandiloquence, presque inévitables, tant la série prend de l'ampleur. En véritable OVNI télévisuel, Mr. Robot s'impose largement, n'hésitant pas à repousser les frontières de la réalisation dans l'univers des séries, notamment avec des scènes au montage grandiose bousculant notre notion du réel.