Narcos
7.7
Narcos

Série Netflix (2015)

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Escobar, l'éternel - Critique publiée dans le magazine "L'Écran"

Le but ambitieux de cette série est de retracer la lutte de la police contre les "narcos", les trafiquants de drogue qui sévissent dans l'un des pays les plus corrompus du monde, la Colombie. L'histoire se borne dans un ancrage chronologique, elle débute à la fin des années 70 pour progressivement rattraper la fin du XXe siècle. Cette critique est relative aux deux premières saisons de la série, qui opposent les agents de la police des stups DEA aux narcos de Pablo Escobar, le patron légendaire du cartel de Medellín.


Avec un savoir-faire hallucinant, Netflix produit là l'une de ses séries les plus abouties. Les épisodes successifs n'accusent aucun temps mort et le scénario repose sur un jeu d'équilibrisme parfaitement calibré. En effet, la difficulté réside à trouver le juste milieu entre la traque effectuée par la police et le marché fructueux des narcos. Cette tâche est accomplie sans difficulté, le jeu du chat et de la souris prend alors toute sa signification. D'un côté, Javier Pena et Steve Murphy sont les deux policiers sous les feux des projecteurs, ce sont eux qui vivent au coeur de la traque du baron de la cocaïne colombienne. Ces personnages servent donc de baromètre au spectateur pour savoir où en sont les enquêtes successives. D'autre part, Escobar et ses fidèles règnent sur un empire quasi infini, d'où ils accumulent des richesses inépuisables. Toutefois, la tâche des trafiquants devient de plus en plus compromise à mesure que la police se rapproche du patron. C'est donc à l'aide du pouvoir d'Escobar et d'une connaissance parfaite du terrain que les trafiquants vont réussir à échapper aux griffes de la DEA.


L'autre exploit accompli par cette série, et non des moindres, est de provoquer une empathie pour les deux camps au spectateur : l'une logique, l'autre coupable. Les deux policiers suivis durant la série doivent affronter leurs pires démons, dans une lutte interminable, face à un adversaire invisible. Entre une cible qui leur glisse constamment entre les doigts et la certitude que la mort peut leur tomber dessus à tout moment, Pena et Murphy subissent une pression dévastatrice. Le travail sur la psychologie des personnages est remarquable, une grande place est dédiée à la vie personnelle des policiers. Les acteurs de Javier Pena et Steve Murphy, respectivement Pedro Pascal et Boyd Holbrook, sont convaincants dans des rôles pourtant difficiles à interpréter. Ils profitent de la place conséquente dédiée à leurs personnages pour faire passer ce Narcos dans une autre dimension psychologique. Cette place de choix occupée par les policiers a le double effet d'éviter, d'une part, de créer des personnages lisses, mais aussi de mettre le spectateur en face du calvaire que représente la chasse du plus prestigieux narco-trafiquant colombien.


Ce dernier parvient aussi à s'attirer les faveurs du spectateur, avec la mise en lumière de sa vie privée constamment mise en danger. Escobar doit protéger sa famille contre les menaces extérieures, il emploie toute sa personne à mettre ses proches en sécurité. Tata Escobar, la femme de l'homme le plus dangereux du pays, est complètement désarçonnée face à un destin qui s'apparente, petit à petit, à une fatalité. Sa mère joue aussi un rôle crucial, et c'est finalement un affrontement qui se développe entre la femme du patron, folle amoureuse et pragmatique, et la protectrice inconditionnelle de sa progéniture, uniquement motivée par la survie de son fils. C'est dans ces moments-là que Pablo Escobar semble finalement si "normal", voué à l'échec dans une quête de sécurité impossible.


C'est bel et bien le baron de la cocaïne qui représente le centre des attentions lors de ces deux premières saisons, et ce grâce à la combinaison gagnante de trois facteurs. Grâce à une écriture profonde, le scénario permet de revivre les grands moments de Pablo Escobar comme si on y était. Le script place le patron sur un piédestal symbolique, et de longs passages de la série retracent ses exploits, coups de gueule et autres démonstrations de force. Cela nous mène au second facteur de cette réussite, et non des moindres : l'acteur qui incarne Pablo Escobar, Wagner Moura. Le brésilien nous dévoile l'étendue de son talent dans des séquences à couper le souffle, dans un jeu que l'on pourrait sans aucun doute assimiler à l'Actor's Studio. Enfin, la réalisation aboutie de José Padilha achève de faire rentrer Pablo Escobar dans une autre dimension. Les choix du réalisateur, à l'image des plans rapprochés, confèrent une stature intouchable à l'homme le plus recherché de la Colombie, mais aussi un côté étonnement humain lors de ses dialogues avec sa famille.


Le défi que s'est lancé Netflix est à la hauteur des attentes du public. La traque interminable de Pablo Escobar n'est pas sans dommages collatéraux, puisque le destin d'un pays entier (voire plus) en dépend. Les répercussions psychologiques sur les différents personnages témoignent de l'enfer d'une telle entreprise, qui ne pourra se solder que dans le sang et le chaos. Le rythme de ces deux saisons n'arrive jamais à bout de souffle, et il y a fort à parier que la série en a encore sous le capot. Peut-on espérer une suite à la hauteur de ces deux premières saisons ? Seul le temps nous le dira.

SimonLesénéchal
9

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Créée

le 20 sept. 2016

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