Orphan Black est une série de science fiction canadienne caractérisée par la performance phénoménale de Tatiana Maslany et plusieurs thématiques fortes (science, féminisme, sexualité, famille) plongées dans un scénario alternant habilement suspense, thriller et comédie. Prometteur hein ? Bien plus que ça, puisque la série demeure ambitieuse, surprenante et exigeante avec elle-même tout au long de ses 3 saisons actuelles. Orphan Black est une série qui accroche, parce qu'elle est originale, de bonne facture, terriblement imparfaite et qu'elle propose un concept inédit dans lequel elle se lance sans concessions mais avec intelligence.
Le pitch, pour se mettre dans le bain.
Sarah Manning est une fille paumée qui se traîne aux basques un ex violent, une petite fille pas à sa garde et un frère d’adoption à 15 sur l'échelle de Kinsey. Un soir elle croise sur le quai de la gare une femme qui lui ressemble anormalement quelques secondes à peine avant qu’elle se jette sous un train. Intriguée, Sarah récupère ses affaires et décide de prendre son identité et surtout, son argent. Elle comprend rapidement que la femme sur le quai était l'un de ses (nombreux) clones. Clones que quelqu'un s’applique à tuer méthodiquement... Pourquoi ? Comment ? Qui ? Les questions se posent nerveusement et trouvent quelques unes de leurs réponses au fil d’une première saison dense, intrigante et addictive.
On entre donc dans l’univers d’Orphan Black à travers l’histoire de Sarah. Sarah c’est nous, les spectateurs, c'est aussi notre guide, le personnage « fil conducteur » et la clef de voûte de l’histoire. C’est la fille normale qui met les pieds dans une histoire de fou et à laquelle tout le monde peut et va s’identifier librement. Puis au fil des épisodes on rencontre Alison la mère au foyer névrosée, Cosima la scientifique geek lesbienne, Helena la fanatique religieuse débarquée d’Ukraine ou encore Rachel la femme d’affaires psycho-rigide... On découvre un panel de femmes/clones badass jouées par Tatiana Maslany, et c’est là que réside le véritable tour de force d’Orphan Black. Le cœur de la série, c’est ses interprétations impeccables, iconiques et toutes en justesse à tel point qu’on a du mal à garder à l’esprit qu’une seule et même actrice incarne la grande majorité des personnages (une dizaine de clones et un scorpion, oui oui), même trois saisons après. Les accents, la gestuelle, les tics, tout passe incroyablement naturellement, à tel point qu'on peut reconnaître un clone en quelques secondes rien qu'à sa manière de se mouvoir. Éprouver une large palette d’émotions envers des personnages de fiction radicalement différents sous lesquels se cache une seule personne est une source d’émerveillement régulier, le reste du temps j'oublie carrément qu'il n'y a qu'une actrice. Les méthodes de Tatiana Maslany pour entrer dans la peau des personnages sont intéressantes : de son propre aveu, tous les petits détails qui caractérisent chaque clone ne sont ni millimétrés, ni forcés, ni même entièrement conscients. Elle a crée des playlists qui l’aident à entrer dans les personnages en dansant, des sélections assez marrantes à découvrir ici (celles de Sarah et Cosima sont dope, celle d’Allison ridiculement bien ciblée) Lorsqu’elle incarne un clone elle garde aussi la gestuelle et l’accent pendant les pauses, ce qui perturbe apparemment ses collègues et, détail ultime, quand on regarde les bloopers on s’aperçoit que quand elle rate des prises et qu’elle se marre, elle est encore dans le personnage. C'est l'ultime pierre à l’édifice de mon admiration pour TMas (instant poésie excusez-moi), qui a d’ailleurs ENFIN été nommée pour un Emmy Award. Qu’elle va gagner, qu'elle DOIT gagner parce qu'elle livre une sacrée performance.
Les personnages sont par ailleurs bien écrits, pluridimensionnels, connaissent des développements scénaristiques intéressants et bien amenés. On peut par exemple passer, en une saison, de la peur à l'affection pour un personnage totalement creepy versant à fond dans la psychopathie (Helena) ou subir les mauvaises décisions du personnage cool et génial qu'on aime d’amûr (Cosima dans la saison 3). Que ça nous plaise ou non on ça ne semble jamais forcé, et on achète parce que toutes ces évolutions sont "in-character" et respectent leur psychologie. Elles sont plausibles, depuis le tout début.
Ce qui fait également le sel de la série, mis à part l’immersion dans un univers de science fiction réaliste qualifié de "biopunk" par certains fans (les faits scientifiques ne sont pas négligés il y a une consultante, Cosima Herter - et son prénom n'est pas une heureuse coïncidence - qui guide les auteurs sur la science et plus largement sur le rapport entre science et société), c'est la surprise constante et les virages abrupts qui jalonnent l'histoire. Graeme Manson et John Fawcett prennent un plaisir presque sadique à vouloir surprendre leur audience à chaque épisode, que ce soit par des scènes en forme de morceau de bravoure technique (jusqu'à 9 personnages dont 4 clones interagissant entre eux dans une même scène), par le mélange d'univers aux antipodes les uns des autres (la secte perdue dans la campagne, le commissariat de la ville, les labos d'une organisation internationale, une base militaire au Mexique...) ou par des rebondissements abrupts et des retournements de situation presque toujours jouissifs et totalement imprévisibles. L’expérimentation est l’un des caractères constitutifs de la série que contrebalancent de régulières petites attentions scénaristiques comme des auto-citations, clins d’œil ou références à communauté de fans. Ces éléments rendent l’univers de la série familier et agréable à retrouver d’un côté, mystérieux et incertain de l’autre, et construisent là l’équilibre émotionnel de la série. Elle innove, tâtonne, s'égare parfois mais garde intacte la volonté de divertir, surprendre et d'explorer toutes les limites de son concept en restant fidèle aux idées qu'elle souhaite véhiculer.
Orphan Black à tout d’une grande série sans en avoir la prétention, ce qui lui permet de prendre des libertés. C'est finalement ce que j'aime chez elle, et avec ça les qualités et les défauts qui en découlent. Je prends toujours énormément de plaisir à la regarder grâce à une écriture solide, de bons acteurs et une formule qui marche. Le début de la saison 3 m'a fait douter pendant les premiers épisodes avant de balayer toutes mes réserves un nouvelle fois à coup de twists exquis, de nouveaux personnages, des morts surprenantes, de réponses à de grandes questions et le double de nouvelles interrogations.
Welcome to the trip, man.