Pose
7.9
Pose

Série FX (2018)

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“NEW YORK CITY. 1987.” C’est sur ce carton que s’ouvre Pose. Dès la première scène, on découvre la House of Abundance, dirigée par Elektra, en pleine préparation pour le ball. Ses membres sont des jeunes gays et transsexuel·le·s latinos et afro-américain·e·s, ayant rejoint la house pour concourir dans des “ball”, compétitions underground qui mêlent défilé de mode, voguing et travestissement. On suit alors Blanca, jeune femme trans qui claque la porte de la House of Abundance pour fonder sa propre maison, la House of Evangelista, en référence à son ancienne mother, Elektra Evangelista. Au fil de la saison, Blanca fait de sa House un refuge pour les jeunes en perdition, leur donnant avant tout un toit – et des règles de vie : “My House, my rules”. Elle sort ses enfants des rues, dans un climat où le sida et la précarité règnent, la plupart des gays et trans ayant été jetés hors de chez eux durant leur adolescence.


La série, créée par Ryan Murphy et Brad Falchuk, duo à l’origine de Nip/Tuck, se concentre ainsi sur le microcosme underground new-yorkais qu’est le milieu des ball. Très largement inspirée par Paris is Burning, documentaire culte sur la ball culture, la série en emprunte tous les codes, depuis les lieux fréquentés jusqu’au langage si particulier qui régit cette communauté. Au fil des épisodes, Pose dessine une cartographie souterraine et marginale de New York ; parce que ses protagonistes sont des parias et des gens de la rue, la ville qui se donne à eux n’est pas la même que celle que fréquentent les citoyens du “centre”.


Sous le prisme de ces jeunes gays et trans et de leur expérience de la ville, New York dévoile alors son organisation spatiale protéiforme, et sa cartographie alternative, underground – donc souterraine. Cette nouvelle cartographie se présente au spectateur comme l’envers du décor, ses formes révélant alors la nature artificielle et idéologique des structures urbaines. Les protagonistes sont des délocalisés, tous “mis à la porte”, que ce soit très prosaïquement, comme pour le jeune danseur Damon, que ses parents jettent dehors lorsqu’ils découvrent son homosexualité, ou plus figurativement, comme pour Blanca, quittant sa house dès le début de la série, et se retrouvant à la rue. Ces “délocalisés” se retrouvent à errer dans les rues de New York et la ville amplifie leur misère, en particulier parce qu’elle les rend sans arrêt en proie à la société du centre. La maison leur fait défaut, et trouver un lieu de refuge contre la ville devient alors la première nécessité pour tous les personnages. Il est sans arrêt question d’espace, de maison et de la ville : dans l’une des dernières scènes de la saison, un personnage annonce à celle qu’il aime qu’il a quitté sa femme et qu’il est enfin libre. Voici les mots qu’il choisit :


“I’m leaving my wife. For good. I don’t want to pretend anymore. I want us to get a house. Out on the island, or Westchester, and I can take the train in and out of the city for work. Remember that night in the hotel room, the first night we met, and you told me you just wanted a home and someone to take care of and to be treated like a real woman”. Non seulement il s’agit pour eux de fuir New York, mais par dessus tout d’avoir enfin une maison, donc un espace à soi, qui soit une contre-société.


Les “délocalisés” sont marginalisés dans chacun des espaces qu’ils pénètrent, qui dévoilent par leur rejet des marginaux leur violence de “lieu de pouvoir”. Dès les premières minutes de la série, Elektra emmène sa “famille” au musée, afin d’y dérober des costumes royaux pour un ball. À peine ont-ils passé les portes du lieu que les voilà déjà “suspectés de marginalité”. Cette logique de rejet des marginaux par les lieux qu’ils essayent ou désirent pénétrer est figurée sous différentes formes au fil des épisodes : Angel, jeune prostituée transsexuelle, attend son amant en bas de la tour Trump où il travaille. Elle est immédiatement repoussée par lui lorsqu’il la découvre là, sur le parvis de la tour, loin du pier (la jetée) où elle a l’habitude de travailler. Angel essayera même de se faire embaucher comme secrétaire dans les bureaux de la tour – elle sera bien entendu violemment exclue. Une autre manière, plus insidieuse encore, est la façon dont Blanca est sans cesse mise à la porte du bar gay qu’elle aimerait fréquenter. Parce qu’elle est une femme transexuelle, et non un homme gay, les clients du bar la voient d’un mauvais oeil, et alors que Blanca essayera à plusieurs reprises d’être servie, elle finira par être violemment mise à la porte.


Les marginaux eux-mêmes vivent ainsi dans des lieux segmentés et exclusifs, ce qui achève de dessiner les logiques de rejet qui les régissent. D’un point de vue de mise en scène, il faut remarquer que la rue, dont il est toujours question, n’est qu’à peine visible. Au mieux, la caméra cadre sur un morceau de trottoir ou une petite impasse – mais on n’y voit jamais ni boulevard, ni déambulation, ni horizon. Les personnages ne se déplacent jamais d’un endroit à un autre : ils font simplement irruption dans des édifices. Une scène en particulier met cette intention en lumière : Damon est en retard à son cours de danse ; on le voit sortir de son appartement, et entrer dans la salle de danse en sueur. Il explique alors qu’il n’a pas pu prendre les transports, et qu’il a dû venir en courant. Alors que son retard sera décisif puisqu’il manquera de peu de le faire expulser de l’académie de danse, sa course ellipsée fait apparaître en creux l’impossibilité de représenter la ville comme un espace qu’il emprunte. La rue est en effet non seulement hostile envers les queens, mais elle se refuse aussi à être un lieu fréquentable par elles. Elle est ainsi réduite à un pur mécanisme de mise en scène, n’apparaissant que lorsqu’il est impossible de faire sans elle. Ainsi se déchire le tissu urbain : en ville, la rue est ce qui, d’un point de vue cognitif et en l’absence de paysage, organise les parcelles entre elles, dessine des trajectoires assez profondes pour imaginer des distances, divise le tout en quartiers distincts et permet de penser la ville comme un territoire unifié et structuré, donc appréhendable. Dans Pose, la rue n’est pas faite pour déambuler, mais pour fuir la police (à plusieurs reprises), le domicile familial, ou ses agresseurs.


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Hétérotopie
8
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Créée

le 19 mars 2019

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Hétérotopie

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