Ripley New look
Le noir et blanc est somptueux. Les scènes à New York laissent béats d'admiration. Le parti-pris du noir et blanc pour toute la série produit d'étranges effets. D'abord, on n'imagine pas l...
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le 7 avr. 2024
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Troisième adaptation du roman de Patricia Highsmith, Monsieur Ripley, première sous la forme d'une série. Ce qui fait que le réalisateur et scénariste Steven Zaillian a a priori un avantage de taille sur René Clément (à qui on doit le brillant Plein Soleil, avec un Alain Delon à son sommet, dont le côté dangereusement félin n'a jamais été aussi fabuleusement employé !) et Anthony Minghella (à qui on doit The Talented Mr. Ripley !), à savoir le temps de développer au maximum son intrigue et ses personnages.
Mais, un petit mot d'abord sur la photographie, le choix du noir et blanc est surprenant dans un premier abord. D'autant plus que l'Italie est le cadre, par excellence, se prêtant à merveille à la couleur. Reste qu'au fur et à mesure qu'on avance dans les épisodes, c'est un parti pris qui se justifie. En effet, c'est un thriller qui a pour ambition de faire plonger dans la psyché trouble, glaciale et angoissante d'un petit escroc sans envergure qui va saisir une chance inespérée pour atteindre un niveau de vie supérieure, socialement et financièrement, et qui ne va reculer devant rien pour y parvenir (et s'y maintenir !). Les images deviennent paranoïaques et fantomatiques, pour souligner le parcours d'un être isolé (Ripley, évidemment, de son prénom Tom !), constamment sur la corde raide, s'en sortant grâce à son habilité et à une très grosse dose de chance.
Je regrette juste le vernis trop lisse du numérique (parole de vieux con : rien ne vaudra jamais le grain d'image de l'argentique pour saisir les plus petites nuances de lumière et d'ombre !), quelques CGI trop visibles lors de quelques séquences sur la mer (trop droites et trop propres pour donner l'impression d'être réellement sur des flots... non, mais comparez avec la technique magistrale de la version de René Clément, utilisant à la perfection l'instabilité de ces grandes étendues d'eau salée pour foutre un réalisme et une tension de ouf !), mais les plans, soignés et stylisés, concourent, néanmoins, à plonger dans une atmosphère anxiogène.
De plus (pour faire la transition sur la question du temps !), la caméra s'attarde sur des éléments des divers décors pour que l'on y soit autant imprégné que notre protagoniste avec ces derniers. Elle s'attarde aussi, souvent, sur des réactions de diverses personnes que ce même protagoniste croise, même ne serait-ce sur quelques secondes, à l'égard de l'assassin-aigrefin. On saisit qu'ils saisissent instinctivement qu'il y a quelque chose de pas clair avec notre coco. Comme on suit tout le temps ce dernier, on a peur pour lui, on le soutient bien malgré nous. Un procédé filmique et narratif qui est, lui aussi, habile pour éprouver de la crainte pour Ripley, c'est que les personnes qui sont physiquement loin, mais qui ont, malgré tout, à un moment donné la possibilité de bien enfoncé le personnage principal dans la merde, sont filmés face caméra pour mettre en avant que présent ou non, ils sont aussi redoutables que s'ils étaient dans la même pièce.
Bon, le suspense n'a pas autant fonctionné qu'il aurait pu, étant donné que je connaissais par avance les grandes lignes de l'histoire, ayant déjà vu les deux précédentes versions. Ce qui fait que j'envie celles et ceux qui ne savent rien de ce qu'ils vont voir ou qui ne savaient rien de ce qu'ils ont vu. Je précise que ce n'est pas un reproche que j'ai formulé dans ce paragraphe, mais une constatation.
Par contre, là où je formule des reproches, c'est sur quelques grosses incohérences très gênantes, que la durée d'ensemble ne fait que mieux rendre visible.
Même si le flic se croit plus intelligent qu'il ne l'est vraiment... oui, en fait, il est con... Enfin, bref, même un flic con demanderait tout de suite à avoir une photographie d'un type disparu. Ensuite, con ou non, le fait que ce même flic ne voit pas immédiatement qu'il n'a pas affaire à quelqu'un de différent, alors que Ripley s'est juste laissé pousser la barbe et s'est ajouté quelques cheveux, sans rien changer à sa voix ou son comportement, n'est pas vraisemblable une seule seconde. L'autre couillon a sérieusement besoin de consulter un ophtalmo et un ORL de toute urgence.
Et à part Andrew Scott (sur lequel je vais revenir plus loin, bien sûr !), Dakota Fanning et un que je ne nommerai pas (pour ne pas vous ruiner la surprise !), qui apparaît dans le tout dernier épisode, on ne peut pas dire que le charisme de la distribution déchire à mort. Mention déshonorable à Johnny Flynn, qui ne fait qu'encore plus pâle figure quand on sait qu'il succède, dans le même rôle, à Maurice Ronet et Jude Law (qui le pulvérisent puissance 10000 points de vue présence et photogénie !).
Pour Andrew Scott, en dépit du fait qu'il soit bien trop vieux pour pouvoir se faire passer pour quelqu'un supposé avoir la vingtaine, il assure à mort pour incarner l'ambivalence du caractère qu'il interprète, toutes ses facettes, tour à tour vulnérable puis impitoyable, à contribuer à nous le rendre attachant (alors que c'est une ordure avec de fortes tendances psychopathes, je le rappelle !). Et lui, il a un charisme de gros malade. En outre, si les quatre romans mettant en scène Tom Ripley donnent lieu à d'autres saisons (ce qui serait cool, car, excepté Ripley s'amuse avec L'Ami américain de Wim Wenders, aucune de ses suites littéraires a été adaptée, d'une manière ayant marqué les esprits, au cinéma !) , le problème de l'âge du comédien sera résolu, ayant même la possibilité de devenir un avantage, vu les bonds dans le temps.
Alors, autrement, un dernier reproche, c'est que le luxe dans lequel vit l'héritier que Ripley doit ramener au bercail fait visuellement un peu pauvre (si on met de côté un Picasso !) pour qu'il soit profondément enviable, pour qu'il déclenche quelque chose de fort chez notre antihéros. Le luxe est beaucoup mieux mis en scène, dans les derniers épisodes, avec un grand appartement romain, richement décoré, et un vieil et prestigieux hôtel particulier vénitien.
En revanche, j'ai apprécié énormément l'épisode qui s'attarde, jusqu'à en être drôle, sur la dissimulation d'un meurtre et le nettoyage d'une scène de crime, avec tous ces fichus trucs, tous ses petits imprévus, auxquels il faut penser ou faire face avec sang-froid pour ne pas se faire prendre (big up, au passage, au chat trop mimi, en plus d'être un excellent comédien, qui joue un témoin passif de ce qui est en train de se passer !). J'ai aussi apprécié le symbolisme des parallèles, biographiques et picturaux, entre Tom Ripley et Le Caravage, deux éternels fugitifs criminels, extrêmement talentueux dans leur domaine, génie à leur manière du clair-obscur. Ah oui, on a aussi une œuvre de fiction dans laquelle la barrière des langues est utilisée au lieu de marcher en plein dans la facilité stupide du pays étranger dans lequel tout le monde a forcément son C1 dans la langue de Shakespeare.
En résumé, Ripley est une série que j'ai regardée rapidement (binge-watché si j'osais les termes anglicistes !), sans ressentir le moindre ennui, que j'aurais voulu aimer nettement plus (hélas, à cause de ses gros défauts… !), mais à laquelle je me suis, cependant, accroché pour ses quelques grandes qualités. Quelques grandes qualités qui iraient parfaitement pour une suite.
Créée
le 9 avr. 2024
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