Saison 1 :
Il y avait toutes les raisons pour ne pas trop y croire avant d'appuyer sur play. Une série Apple TV+, chaîne dont la naissance récente est marquée par une poignée de fictions qui jouissent déjà pour certaines d'une réputation peu flatteuse (See aka les aveugles du futur), le blase de Night Shyamalan à la production et puis le rouquin d'Harry Potter en tête d'affiche. Et pourtant... malgré une scène d'introduction filmée aux ras des meubles, l'accroche se fait très rapidement.
Dépasser le reborn
La caméra de Tony Basgallop, producteur anglais qui n'a pas grand chose de notable sur son C.V, accompagne les premiers pas d'une jeune fille au pair dans la vaste demeure d'un jeune couple BCBG. Elle, journaliste de terrain sur une chaîne d'info, et lui traiteur renommé accueillent cette jeune servante mystérieuse. Cette belle brune filiforme au regard grave et inquiétant, vient pour prendre soin de leur nourrisson, Jericho.
Et c'est bien ce couple qui nous inquiète dans un premier temps, puisque ce bébé dont il faut prendre soin, est en plastique. Eh oui, si vous ne connaissiez pas cette pratique absolument flippante qu'est le reborning, vous prenez le train (de l'horreur) en marche. Et dès lors, l'angoisse monte de 3 crans avec l'incursion de la maladie mentale dans cette maison, et des concessions faites au nom de la paix du ménage. On pense bien évidemment aux classiques du genre, l'inévitable Rosemary's Baby dès qu'il est question de faire flipper avec la natalité, les espaces confinés et la sorcellerie.
L'idée de base est donc intéressante pour orchestrer un petit huit-clos psychologique. Difficile en effet de ne pas angoisser à les voir s'occuper - dans un premier temps - d'une petite réplique humaine qui semble empaillée. Et comme si ce postulat de base ne mettait déjà pas assez mal à l'aise, les créateurs ont pausé une seconde couche de mystère autour de cette jeune nurse qui fait des crucifix en osier au dessus de landau. On ne parle même pas de l'oncle dont la bizarrerie fait passer le reste de la chaumière pour la famille unie de La fête à la maison. Inutile de dévoiler le reste de l'histoire, déjà assez intrigante comme cela.
Fake plastic love
Sean, le "papa" incarné par Tobby Kebbel (vu notamment dans un Black Mirror) est pris en tenaille entre sa femme folle de sa poupée (Lauren Ambrose) et cette nurse au passé trouble (Nell Tiger Free). C'est bien joué, et on peut saluer une certain qualité d'écriture autour des personnages.
Il est amusant de constater que la journaliste vedette refuse de voir la vérité qui est sous ses yeux, et que le cuisinier perde le goût et l'odorat petit à petit. Est-ce le prix à payer pour retrouver un vrai nourrisson dans le berceau ?
La série baigne dans un symbolisme plus ou moins lourd, les animaux sont tous hostiles et invasifs (des grillons aux chiens errants, en passant par les animaux mutilés dans la cuisine du chef...). Les somptueuses préparations sont toujours précédées de plans exposant des chairs peu ragoutantes. Y a un côté Cuisine des mousquetaires indéniable dans ces plans très crus sur la viande morte.
En marge de ce trio, on peut mettre en lumière le beau-frère qui prend de plus en plus d'importance, et j'admets que le rouquin d'Harry Potter, Rupert Grint s'en sort à merveille dans ce rôle de noceur très préoccupé par le sort de sa sœur.
Sans être la série de l'année, Servant constitue une agréable surprise dans le domaine du thriller horrifique. Elle n'a absolument pas à rougir de la comparaison avec les mastodontes du genre qui peuplent les autres plateformes de streaming. Elle est même infiniment supérieure aux Castle Rock, You, Twillight zone 2019 aperçus cette année. Elle bénéficie même d'un supplément d'âme en dépit de quelques maladresses ou de mouvements de caméra dispensables.
Accessoirement c'est le meilleur truc produit par Shyamalan depuis des lustres. C'est pas très dur étant donné le fort d'échec du bonhomme. À noter tout de même une polémique concernant "la maternité" de la série puisqu'une réalisatrice estime que l'idée de base lui a été volée par Shyamalan, qui se défend de n'avoir pas vu ce film sorti en 2013 et qui repose sur une idée similaire. Difficile à juger étant donné que la situation impose certains personnages inévitablement proches (une mère, une nurse, une situation de détresse psychologique, un nourrisson en plastique qu'on ne voit que dans le premier épisode de Servant). La coïncidence n'est pas impossible.
Saison 2 :
Les limites visibles au concept de série "claustro" sautent aux yeux en cette deuxième saison. La réalisation est toujours soignée, un épisode est même signé par Julia Ducournau (Grave), mais le renouvellement scénaristique autour de cet enfant disparu, remplacé par une poupée, puis par un vrai enfant, lui même enlevé etc... fait désormais plus bailler qu'autre chose.
Est-ce parce qu'ils sont conscients de ce surplace que les scénaristes se sont permis de tenter une forme de variété dans le ton, faisant même basculer parfois Servant dans le comique ? C'est un peu l'impression que l'on a devant le personnage de Julian, dont la teinte est de plus en plus burlesque. L'intrigue autour de la fausse pizzeria improvisée pour pénétrer une maison semble sortir d'une sitcom comique des années 90. Les épisodes se succèdent parfois sans déplaisir, mais sans curiosité non plus.
Le personnage très dispensable de la fliquette pointe même les limites de la vraisemblance (elle a assisté à la mort de Jericho, pourquoi n'est-elle pas étonnée de constater que l'enfant est finalement vivant et a été enlevé quelques mois plus tard après le drame ?).
Les scénaristes cachent le plus souvent les grosses incohérences sous l'épais tapis du surnaturel qui recouvre la série. Ils n'ont déjà plus rien à dire, et ça sent le fin qui fait pschitt façon Lost - qui aura eu le mérite de tenir un nombre infiniment supérieur d'épisodes et de saisons.
Dommage.
Saison 3
La 3e saison chez les Turner n'est pas celle du renouveau. Servant affiche toujours ses limites le long des 10 épisodes de cette nouvelle fournée. Elle tente un léger déconfinement avec des balades dans le parc au milieu d'SDF menaçants, mais sinon peu de changements sont à noter : La saison est recentrée autour du personnage de Leanne, Dorothy a des montées de lait en direct, Julian ne boit plus une goutte d'alcool, Sean est prié de fermer sa gueule en toutes circonstances et de garder le nez dans les casseroles. Il est tombé dans la religion et fait désormais aussi la bouffe pour les jeunes cas soc' du Parc qui se révèlent être un mouvement sectaire au sein de la secte (vous me suivez ?).
Servant continue de vivre artificiellement on ne sait trop comment... La série pourrait perdurer comme ça pendant 15 saisons, avec des plans inquiétants dans le trou de la cave, des frayeurs passagères concernant la disparition de Jerico, des menaces planantes réelles ou fantasmées, les personnages pourraient s'affronter sans se souvenir de ce qu'il y avait à l'épisode d'avant, comme des poissons dans un aquarium. Les traits d'humour esquissés en saison 2 sont remisés au placard, et les scénaristes se limitent désormais au cahier des charges minimum pour pondre un thriller pas trop ruineux.
Les personnages secondaires sont toujours aussi peu étoffés (Roscoe, la copine de Julian, la prêcheuse de Sean). Et pourtant, le format court et le souvenir d'une première saison réussie parviennent à maintenir un semblant d'intérêt pour cette histoire dont on attend maintenant la résolution. On peut courir, dans le dernier épisode de la saison 3 Dorothy fait une chute dans les escaliers, et la prochaine saison risque de s'attarder sur sa convalescence ou sur les graves séquelles de "l'accident".
De tous les événements inexplicables que la série nous propose, il en est un qui ne cessera jamais de m'étonner. Pourquoi ce brave Sean ne s'est pas encore barré loin de cette pète couille de Dorothy ?